À Vlora, la disparition de la forêt marine menace la biodiversité

À Vlora, la disparition de la forêt marine menace la biodiversité

Dans la baie de Vlora, les forêts marines, premier maillon d’une biodiversité exceptionnelle, sont en danger. Pour tenter de les restaurer, les biologistes de l’université de la ville cultivent les algues dans leur laboratoire avant de tenter de les réimplanter en mer.

Du haut des falaises, près de la lagune de Narta, Ina Nasto montre l’endroit dans la mer où elle a introduit les premières algues cultivées en laboratoire. La biologiste, maîtresse de conférence à la faculté, mène depuis 2018 des expériences de restauration de la flore maritime dans la baie de Vlora. Bordée par les montagnes et riche de deux lagunes, la côte située au sud de Tirana offre un cadre idyllique prisé aussi bien par les espèces végétales et animales que par la foule des touristes durant l’été.

L’endroit où Ina Nasto a introduit les premières algues cultivées est situé le long du bras de mer qui sépare la lagune de Narta de la mer. Crédits : Élisabeth Crépin-Leblond

La disparition d’un habitat clé de la biodiversité
Vlora est un des endroits les plus importants pour la biodiversité en Albanie“, explique sa collègue Mathilda Zeqo. La région compte deux parcs nationaux et deux aires marines protégées. Mais, point noir au tableau, sa forêt marine, élément clé de la biodiversité, tend à disparaître. Si elle subsiste encore au nord et au sud, la forêt a déjà déserté le centre de la baie. Réchauffement climatique, pollution des eaux, surpêche et méthode de pêche agressives pour les rochers… Les causes de ce dérèglement sont multiples et affecte l’ensemble des espèces en mer.

Tout est connecté” met en avant Mathilda Zeqo. “Lorsque l’écosystème évolue, certaines espèces s’adaptent, d’autres disparaissent“, explique-t-elle.
Les forêts marines composées en Méditerranée d’algues Cystoseira ont un rôle clé dans le maintien des écosystèmes rocheux. Elles servent à la fois de garde-manger et d’abri aux poissons pour y déposer leurs œufs.

Repeupler la mer
Les biologistes de l’université de Vlora documentent cette disparition en effectuant des contrôles réguliers de la forêt marine, dont certains sont reportés au autorités locales. De 2018 à 2022, Ina Nasto a intégré avec d’autres une expérimentation internationale menée avec 12 institutions et organisations du pourtour méditerranéen. Quelques 1,2 millions d’euros ont été investis par les 12 participants pour financer la culture d’algues en laboratoire et leur insertion dans les écosystèmes marins. Une expérience inédite qui a nécessité la création d’un laboratoire spécifique à l’université de Vlora.
Nous avons cultivé deux espèces différentes à partir d’échantillons venus du sud de l’Albanie“, explique Ina Nasto. Pour mener l’expérimentation, les scientifiques plongent les échantillons d’algues prélevés dans de l’eau de mer. En vingt-quatre heures, les plantes maritimes s’attachent solidement à une pierre placée dans l’eau à cet effet. Après un an de culture en laboratoire, les biologistes introduisent ces pierres dans la mer pour nourrir un écosystème endommagé. À l’endroit que désigne Ina Nasto, soixante pierres ont été déposées par les scientifiques de Vlora.

L’obstacle de la pollution
D’apparence simple, le processus est pourtant périlleux. “La première espèce introduite n’a pas donné de bons résultats. On ne savait pas où mettre les jeunes plantes” explique la biologiste en haut de la falaise. “L’environnent est difficile car il y a de forts mouvements de la mer“, ajoute-t-elle. Une fois par an, elle plonge dans chaque zone pour contrôler le développement des algues implantées.
Pour l’heure, le résultat du programme est encore incertain.”Il faut attendre des années avant d’être sûr que le processus est viable“, fait remarquer Mathilda Zeqo.
Si elles n’ont pas toujours abouti, les expérimentation ont permis aux chercheuses d’établir un processus. Elle le répète désormais dans les travaux de restauration que l’université de Vlora continue de mener de son côté. “Nous voulons introduire une nouvelle espèce d’algues capable de grandir dans des situations difficiles mais nous avons besoin d’une eau avec beaucoup moins de pollution“, explique Mathilda Zeqo. Cette condition est difficile à remplir sur ce littoral d’une des premières destinations touristiques de l’Albanie. “Si la situation ne change pas, on ne pourra pas restaurer cette partie de la baie de Vlora“, ajoute-la scientifique.

La pêche des dattes de mer à la dynamite ou au marteau interdite parfois pratiquée l’interdiction provoque des dégâts importants sur les fonds marins. Crédits : Élisabeth Crépin-Leblond

L’angle mort, le contrôle des poissons
Au-delà de la culture des algues, la situation exige une prise en charge globale du problème. “C’est la responsabilité du gouvernement“, estime Aurora Bakaj, chef du département de biologie de l’université et spécialisée dans la surveillance de la pollution de l’eau et du sable à Vlora. “Dans certains endroits, par exemple près du port, il est temps d’agir contre la pollution“, argumente-t-elle. “Sur les différentes plages de la station balnéaire, l’eau reste néanmoins de bonne qualité“, tente de nuancer la biologiste.

Autre aspect, les populations de poissons, pourtant directement concernées par la disparition des forêts marines, ne font pas l’objet d’un contrôle scientifique à Vlora, contrairement à d’autres villes de Méditerranée où l’expérimentation internationale a été menée. En cause, le manque de moyens accordés à l’université.
Nous n’avons pas d’experts sur cette question à l’Université, ni de bateau de recherches pour mener les évaluations“, regrette Mathilda Zeqo.

Elisabeth Crépin-Leblond

Elisabeth

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