A Tirana, la politique s’immisce encore entre les clubs de football

A Tirana, la politique s’immisce encore entre les clubs de football

Partizani, KF et Dinamo… Comme à Belgrade ou à Sofia, autres capitales de l’ancien bloc communiste, la rivalité des clubs de football de Tirana s’est construite en dehors des terrains. Si ces divisions s’amenuisent avec le temps, elles structurent encore le football albanais.

Dans la rue Luigj Gurakuqi, en plein centre de Tirana, les voitures passent, et lui reste. En une heure de discussion, une quinzaine de personnes l’aura salué. Depuis 34 ans, Muhamed Zalta vend des maillots du KF Tirana et de l’équipe nationale albanaise. Dans son échoppe en tôle, aucune trace du Partizani ou du Dinamo, les deux autres clubs de la ville. A 64 ans, l’ancien garagiste maîtrise à la perfection les rouages et les mécaniques des grandes heures du football albanais. Un brin nostalgique, il regrette les vieilles rivalités qui ont structuré le ballon rond local.

Il se souvient notamment des grands derbys de Tirana, ces matchs qui opposent les clubs de la capitale. Et en Albanie, la rivalité confine parfois à l’excès. Dans un podcast réalisé sur les fans de football albanais, Muhamed Zalta dit qu’il préfère se passer de pain que de son club, le KF Tirana. Une passion qui puise sa source dans les années 1930. “Le KF est un des plus vieux clubs du pays. Il a été fondé en 1920. C’est dix ans avant le premier championnat de football ici”, raconte-t-il sous son pull rayé rouge et noir, aux couleurs de l’Albanie. L’ancien club du roi Zog 1er, monarque du pays dans les années 1930, s’est depuis forgé un palmarès brillant. Il est aujourd’hui le club le plus titré de l’histoire de la Superliga, avec 25 championnats dans la besace.

Une rivalité politique

Face au KF, la deuxième équipe de Tirana s’appelle le Partizani. “Ce club a une tradition populaire très forte”, décrit Ervin Baku, journaliste sportif albanais. Et sa date de création, 1946, ne doit rien au hasard.

“Pendant la période communiste, le Partizani était le club de l’armée. Face à lui, il y avait le Dinamo, le club du ministère de l’Intérieur et de la Sigurimi, la police politique, et le KF, le club du peuple. Ça reste très romancé, notamment à cause des liens qu’il avait avec la mairie de Tirana”, raconte Ervin Baku.

Pendant la période communiste, les trois clubs de Tirana ont régné sans partage sur le football local. Entre 1947 et 1982, seul le Vllaznia Shkodër, club de la ville de Shkodër, dans le nord du pays, a empêché les trois gros de Tirana de se partager les titres en première division. Et il n’est parvenu à le faire qu’à trois reprises. Mais aujourd’hui, dans les tribunes, ce n’est pas une histoire de “club des pauvres contre club des riches”, analyse le journaliste sportif.

Insécurité au Dinamo

Le vieux Dinamo, enfin, est en perdition. Pas de stade, pas de lieu d’ancrage. “C’est le cas depuis la fin du communisme”, estime Ervin Baku. On peut même dire qu’ils n’existent plus dans la tête des supporters”. Pourtant, le club reste le deuxième le plus titré de l’histoire du championnat albanais. Depuis l’arrivée de l’homme d’affaires Adrian Bardhi, le club a même changé de logo et de nom. Depuis 2023, il s’appelle Dinamo City. Ce lundi 28 janvier, ils étaient à peine 200 à Durrës, ville côtière du pays dans laquelle le Dinamo dispute ses matchs. Contre l’équipe de Kukesi, en bas de tableau de la Superliga, aucun chant, aucun drapeau, et maillot à l’actif des supporters.

Le Dinamo City, un des trois clubs de Tirana, joue ses matchs dans la ville de Durrës, à 30 kilomètres de la capitale.

Exit le Dinamo donc, mais la rivalité entre le Partizani Tirana et le KF est encore structurée par la politique. Olsi Rama, frère du premier ministre Edi Rama, est le président du premier. Quant à Lulzim Basha, son opposant du parti démocrate, il soutient ouvertement le KF. “Les derbys entre le KF et le Partizani sont les seuls matchs de l’année qui arrivent à remplir les stades en Albanie. “Ce sont les rencontres les plus attendues. Les supporters se détestent encore aujourd’hui. C’est entretenu dans les familles”, explique Ervin Baku.

La suprématie des trois clubs de la capitale, qui ont remporté les titres de champion, est concurrencée par des nouveaux arrivants. Skënderbeu, club de la ville de Korçë, en fait partie. Le club a même écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du football albanais en se qualifiant à deux reprises pour les phases de poules de la Ligue Europa, la deuxième compétition européenne. Enfin, Egnatia, vainqueur du championnat la saison dernière, fait figure de nouveau riche.

Le nouveau riche contre l’historique, c’est ce qui s’est joué, ce samedi 3 février, au stade du Partizani, le Kompleksi Partizani. Le gros millier de spectateurs présents a assisté au match nul laborieux contre le leader du championnat, Egnatia Rrogozhinë. Dans un stade aux deux tiers vide, les écharpes vendues à l’entrée du stade et les clameurs des Guerrils, les plus fervents supporters du Partizan, sentaient la gloire d’antan.

Ulysse Llamas

Ulysse

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