La difficile renaissance du milieu artistique

La difficile renaissance du milieu artistique

Entre chute du communisme et longue période d’austérité, le milieu artistique albanais a vécu une ère de déclin. Aujourd’hui, il renaît progressivement mais subit l’exode d’une jeune génération dont l’ambition dépasse les frontières du pays.

« L’industrie de l’art albanaise est un bébé qui fait ses premiers pas », affirme Jonid Jorgji, producteur de cinéma et directeur de « Creative Industries Agency », une agence publique gérée par la municipalité de Tirana. Pour le directeur de l’agence qui a pour but de soutenir le milieu artistique dans la capitale, la renaissance culturelle albanaise est à peine âgée de deux ans.

« L’éveil artistique albanais remonte à 2022. Tirana était la capitale européenne de la jeunesse et plus de trois événements artistiques y étaient organisés chaque jour », explique-t-il. Un planning artistique riche, permis par les conséquents fonds nationaux et européens accordés exceptionnellement pour l’événement. « C’est à ce moment-là que les Albanais, et spécifiquement la nouvelle génération, se sont rendus compte que l’art avait une place fondamentale à prendre dans leur vie », s’enthousiasme Jonid Jorgji. 

« L’industrie de l’Art albanaise est un bébé qui fait ses premiers pas », Jonid Jorgji. Crédit: Yara El Germany.

Un paysage hostile à l’art 

A la suite de la chute du communisme en 1991, le pays a vécu une période marquée par la pauvreté. L’art était donc loin de faire partie des priorités de la population ou de l’État. « Durant les années 90, l’industrie artistique s’est totalement effondrée dans le pays. Le chaos régnait. Les salles de cinémas et d’expositions étaient désertes et délabrées. Une des salles de cinémas les plus connus de la capitale projetait même illicitement des films pornographiques », se désole l’artiste considérant ces années comme l’ère de la dépression artistique albanaise.

Pourtant, l’art a joué un rôle central durant la période communiste. Il a été l’un des principaux outils de propagande utilisés afin d’infuser la population de l’idéologie du parti, comme dans le reste de l’Union soviétique. « Le régime a massivement financé l’art. Les productions cinématographiques étaient colossales. Un film des années 80 pouvait compter plus de 1000 figurants. Ce qui est chose improbable de nos jours », détaille le producteur.

A la suite de cette période, la pratique artistique perd donc son rôle de propagande. Les subventions allouées à la culture se réduisent comme peau de chagrin. « Le milieu artistique est toujours, en majorité écrasante, géré par des institutions étatiques. Les entreprises artistiques privées sont rares puisqu’investir dans le milieu durant une période économique difficile n’est pas rentable. Le budget alloué à la culture dans le pays dépend donc étroitement des décisions gouvernementales », affirme Fatos Qerimaj, professeur à l’université d’art de Tirana et compositeur clarinettiste de renommée. Selon lui, cette réalité restreint grandement les possibilités de développer le milieu et de créer ainsi des offres de travail. 

Fatos Qerimaj devant l’Université d’Art de Tirana. Crédit: Yara El Germany.

Quitter l’Albanie, la meilleure décision à prendre ?

« Faire le choix de poursuivre des études d’art en Albanie est complexe, les débouchés d’emplois étant minimes », souligne Fatos Qerimaj. Les étudiants du milieu artistique prennent donc une place considérable au sein de l’immigration albanaise. Un choix difficile que redoute Klajdi Malellari, étudiant en master de théâtre à l’Université d’art de Tirana. « C’est triste à dire mais aujourd’hui quitter l’Albanie est peut-être la meilleure décision à prendre », lâche l’étudiant la gorge nouée.

Le jeune homme de 22 ans reste toutefois divisé sur la question. « Je veux participer à la création artistique de mon propre pays, m’exprimer librement en utilisant ma propre langue. Mais vu la difficulté d’intégrer le milieu albanais et d’y évoluer, je crains de m’entêter à rester et de m’éteindre », confie-t-il.

Klajdi Malellari devant le théâtre ArTurbina à Tirana. Crédit: Yara El Germany.

Pour Hepi Kajca, la décision de partir est quant à elle catégorique. « L’Albanie m’a déjà offert toute l’expertise qu’elle détient », tranche la pianiste en formation de 22 ans. « J’ai conscience que dans mon pays je ne pourrai plus apprendre davantage. J’étudie dans le seul conservatoire d’Albanie qui n’a qu’à peine 60 ans d’expertise », explique-t-elle. Hepi Kajca s’est réellement décidée à partir pour ne pas reproduire le parcours de ses parents, eux aussi musiciens, qui ont mis de côté leurs ambitions professionnelles pour ne pas quitter l’Albanie.

« J’avais six ans quand j’ai commencé à jouer du piano », Hepi Kajca. Crédit: Yara El Germany.

Malgré la complexité du paysage artistique albanais, l’État semble aujourd’hui chercher à soutenir davantage les institutions artistiques privées. « Les choses ont commencé à changer en 2010, les secteurs primaires tel celui des services et de l’infrastructure s’étant développés.

Aujourd’hui, l’art redevient une priorité dans le pays et des lois visant à subventionner le secteur artistique privé sont envisagées », assure Jonid Jorgji, directeur de « Creative Industries Agency ». Selon lui, sur les 100 dernières années, l’Albanie vit actuellement son apogée artistique. Et ce n’est que le début, pour un bébé qui apprend à marcher.

Yara El Germany. 

Yara

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