Les Albanais, frères des ours

Les Albanais, frères des ours

Près de 200 ours bruns vivent en Albanie, et côtoient régulièrement les habitants des régions montagneuses. Les associations environnementales ont permis de grandes avancées pour leur préservation, même si leur travail n’est pas toujours bien compris.

Du Nord au Sud, d’Ouest en Est, l’Albanie est parcourue de montagnes. Elles constituent près des trois quarts de son territoire. L’altitude moyenne -708 mètres- en fait l’un des pays les plus montagneux d’Europe. C’est dans ces montagnes que l’on retrouve le plus gros mammifère terrestre du pays : l’ours brun. Selon l’Organisation non gouvernementale de Protection et de préservation de l’environnement naturel en Albanie (PPNEA), il existerait entre 180 et 200 individus à l’État sauvage. On les retrouve majoritairement dans le Nord, à l’Est, et au Sud-Est, à la frontière avec la Grèce, l’un des coins les plus sauvages d’Albanie. Historiquement, l’ours brun est ancré dans la culture albanaise. Mais sa cohabitation avec l’homme ne s’est pas toujours faite en sa faveur.

Lutter contre la captivité des ours bruns

Quand il a commencé à travailler pour la société de protection des animaux Four Paws en 2016, Ilir (le prénom a été modifié) était en partie chargé de militer pour la libération d’ours en captivité devant les hôtels et restaurants du pays. Cette pratique, pour attirer les clients, était encore très populaire il y a quelques années : « Quand j’ai été embauché, il y avait entre 40 et 50 ours emprisonnés dans des cages aux conditions ignobles », explique Ilir. « Les propriétaires de ces lieux pensaient qu’ils étaient bons avec les ours car il les nourrissaient, mais ils n’y connaissaient rien. Les cages étaient minuscules. Certains leur donnaient de l’alcool et des croissants, et les ours devenaient alcooliques et diabétiques ». Alors, en collaboration avec la PPNEA, Four Paws a lutté pour la libération de ces animaux. Un travail passant par des négociations avec les propriétaires de ces lieux, et une collaboration avec les autorités locales et le Ministère de l’environnement. Le dernier ours de restaurant, Mark, a ainsi été libéré en décembre 2022.

Après leur libération, ces ours, trop habitués à l’Homme et ayant perdus leur instinct animal, sont amenés dans des sanctuaires, au Kosovo, en Allemagne ou en Autriche. Mais aucun n’est en Albanie : « On pousse pour ouvrir un camp ici. Mais le Ministère de l’environnement botte en touche », se désole Ilir. « On ne peut pas bien gérer ces problèmes si on n’a pas de place pour accueillir les animaux ».

Or depuis la libération de Mark, deux nouveaux cas de captivité ont été découverts par les associations environnementales. Près du Mont Tomorr, dans le sud de l’Albanie, deux oursons étaient enfermés près d’un restaurant : « Le propriétaire avait d’abord accepté de libérer les oursons. Mais il s’est ravisé, il se pensait au dessus des lois. Alors nous avons prévenu le Ministère de l’environnement qui a promis de tout faire pour le libérer. Entre temps, les ours ont disparu. Le propriétaire assure les avoir libéré. Mais on s’inquiète pour eux, ils ont perdu tout instinct de survie et reviendront forcément vers les humains », déplore Ilire.

Eveiller les consciences

Les associations de protection des animaux font également face à un autre problème : celui de la chasse illégale. Si depuis 2014, la chasse est interdite en Albanie pour permettre de protéger la biodiversité, plusieurs chasseurs poursuivent secrètement leur activité. Selon le Balkan Investigative Reporting Network, 3126 fusils de chasse et plus de 250 000 cartouches ont été importés entre 2014 et 2020, atteignant un pic en 2020 avec près de 60 % de ces importations de cartouches. Il est même possible de manger de la viande d’ours brun dans certains restaurants du pays, qui la proposent sous le manteau. Parfois, ces cas de chasse illégales ne visent pas directement les ours. Mais ils en font tout de même les frais. Fin décembre 2023, un ours a été sauvé par plusieurs associations de protection des animaux, après avoir été piégé par un collet. L’animal a été retrouvé grâce à une puce GPS implanté par l’une des associations.

A travers la première phase du projet « Tripoint Brown Bear », mené avec la Macédoine du Nord et la Grèce, la PPNEA travaille à recenser ces animaux pour mieux comprendre leurs comportements, et leurs habitats : « On utilise des pièges caméras pour les observer. Mais il est très difficile de dénombrer les ours. Malgré leur faible fréquence de reproduction, et avec les données que l’on a, on pense que leur nombre reste stable », explique Bledi Hoxha, responsable de projet à la PPNEA. Le but est également de sensibiliser le public à ces problématiques : « On organise des évènements et on se rend dans les écoles pour rendre les plus jeunes réceptifs à notre cause », argue Bledi Hoxha. Pour Ilir, de Four Paws, les mentalités changent peu à peu : « Quand j’ai commencé ce métier, la police nous riait au nez quand on dénonçait les cas d’ours en captivité. Maintenant ils prennent cela au sérieux ». La deuxième phase du Tripoint Brown Bear, qui débutera en février pour deux ans, devrait poursuivre ce travail, mais également de constituer des équipes spécialisées capables d’intervenir en cas d’approches trop régulières d’ours dans les villages de montagne.

Quand urbanisation et tourisme de masse menacent les ours

L’un des autres gros problèmes auxquels font face les ours bruns est la réduction de leurs habitats naturels causée par l’urbanisation grandissante : « Aujourd’hui, certains villages se trouvent déserts car les habitants partent dans les grandes villes, et les ours en profitent. Mais dans le même temps, l’urbanisation fleurit, avec la construction d’autoroutes et les projets de voies ferrées. Cette urbanisation devrait être accompagnée d’infrastructures vertes – comme des ponts et des tunnels – pour permettre aux ours, et aux autres animaux, de passer d’un habitat à un autre, et ainsi éviter une fragmentation de leurs territoires », explique Xhek Nezha, responsable dans le Parc national de Shebenik, près du lac d’Orhid, dans l’Est de l’Albanie. Aujourd’hui, les zones naturelles protégées concernent près d’un cinquième du territoire albanais. Mais elles sont menacées par ces projets d’urbanisation, et par une loi qui pourrait être votée dans les prochaines semaines : « Le gouvernement pourra laisser plus de libertés aux municipalités pour réduire cette proportion de zones naturelles protégées, et ainsi permettre de construire sur ces territoires. Tout sera endommagé, et tous les animaux vont en souffrir », dénonce Sazan Guri, professeur agrégé en géo-sciences, à l’Université de Tirana.

Avec la réduction de leurs habitats, les ours bruns s’aventurent davantage dans les villes et les villages pour trouver de la nourriture, ce qui peut parfois causer des tensions.

A cela s’ajoute le tourisme. L’année dernière, près de dix millions de personnes sont venues visiter l’Albanie. Dans les montagnes, les excursions se multiplient : « Ce tourisme de masse me fait peur. On ajoute constamment des sentiers pour amener toujours plus de monde. C’est le cas dans la montagne de Valbonë (NDLR : Au nord du pays), l’un des endroits les plus visités. L’été, les sentiers ressemblent à des autoroutes. Les ours bruns ont peur de la présence humaine et partent se réfugier dans des endroits plus isolés », s’inquiète Dylbev Beri Alla, guide touristique albanais.

Titouan Allain

Titouan

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