Un lac albanais abrite le plus ancien village sur pilotis d’Europe 

Un lac albanais abrite le plus ancien village sur pilotis d’Europe 

Sous le lac d’Ohrid, à la frontière entre l’Albanie et la Macédoine du Nord, des archéologues ont découvert les traces d’une cité sur pilotis datant de 5800 av. J.-C., la plus vieille d’Europe.

“La surprise de cette découverte, c’est la datation”, s’extasie Adrian Anastasi, l’archéologue albanais qui co-dirige les fouilles du village lacustre. “De ce qu’on connaît, les sociétés sur pilotis apparaissent à partir de 5000 av J.-C. Celui-là date de 5800 av J.-C. Il a près de mille ans d’avance”. Ces nouvelles datations, effectuées en 2023 par l’Université de Berne, en Suisse, font de ce village sur pilotis le plus vieux d’Europe.

Sous le lac bleu d’Ohrid, à l’est du pays, il faut imaginer les vestiges d’une construction en palafittes qui abritait autrefois entre 200 et 500 personnes. “On est dans la phase où les premiers agriculteurs européens ont décidé de vivre une vie sédentaire”, explique Adrian. Sauf que, à cette époque, construire dans l’eau est beaucoup plus dur que de construire dans la terre, car plus physique. “On ne sait pas encore pourquoi ils l’ont fait, mais nous avons une hypothèse : la protection”. Une construction dans l’eau aurait permis de diminuer le risque d’attaques extérieures, humaines comme animales.

Le lac d’Ohrid, sous lequel se cache les vestiges d’un ancien village sur pilotis. Crédit : Ardian Anastasi

Le site était connu des pêcheurs depuis plus d’un siècle

Si la nouvelle de cette datation fait sensation, le site en lui-même, près de la petite péninsule de Lin, est connu des pêcheurs depuis plus d’un siècle. “Au début des années 1970, il y a eu une réduction énorme de l’eau du lac et la population du village a vu apparaître des morceaux de pilotis à la surface”, explique Adrian Anastasi. Dans les années 80, la télévision nationale albanaise commence à s’intéresser à cette découverte. “Le journaliste de l’époque, Xhemal Mato, était une sorte de commandant Cousteau albanais, il a été le premier à la documenter”. Mais aucun scientifique ne s’y intéresse vraiment en profondeur et les découvertes s’arrêtent là.

L’intérêt d’Adrian pour le lac Ohrid viendra plus tard, en 2012, alors qu’il réalise une carte subaquatique archéologique de la côte albanaise. “Le but était d’effectuer une planimétrie du site, pour mieux le protéger”. Le travail paye : en 2019, une partie de la côte albanaise rentre au patrimoine mondial de l’Unesco. Quelques années plus tard, il s’intéresse plus particulièrement à la zone du lac sous laquelle dort l’ancien village sur pilotis. Il commence les fouilles, envoie des échantillons à l’université du Michigan: “Le professeur Michael Galaty y réalise alors une datation approximative de 4930 avant J.-C.”.

L’archéologue Ardian Anastasi vient de découvrir une céramique vieille de plusieurs milliers d’années. Crédit : Ardian Anastasi

Collaboration avec l’université de Berne et approfondissement des recherches

En 2018, des chercheurs de l’université de Berne, en Suisse, le contact pour commencer une collaboration. Ensemble, ils vont fouiller le lac, forer, échantillonner. “L’université de Berne est la plus qualifiée pour effectuer des datations absolues au carbone 14”, explique fièrement l’archéologue.

Ce travail subaquatique révèle petit à petit les secrets de la civilisation : leurs outils, céramiques et fortifications. Mais il reste encore beaucoup à découvrir. “Nous avons pris des échantillons organiques qui sont entrain d’être étudiés à l’université d’Oxford. “Le but est de comprendre comment cette société se nourrissait, les matières premières qu’elle utilisait, la typologie des poissons et la végétation. “Petit à petit, on commence à comprendre comment la société a vécu, mais il nous reste encore beaucoup d’années de recherches”.

Après la plongée, il faut trier les pièces du village avant de les envoyer pour analyses. Crédit : Ardian Anastasi

Le projet est financé en grosse partie par l’Union européenne même si certains financements sont albanais. “2024 signe la dernière année du projet avec l’université de Berne, nous allons voir comment prolonger cette collaboration”, explique Adrian. L’archéologue espère qu’un jour, il pourra percer les secrets de cette civilisation et affiner les chronologies existantes: pourquoi a-t-elle construit sur l’eau et pourquoi si tôt?

Emma Meriaux

Emma

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