Au lac d’Orhid, la difficile conservation de la truite locale
Au lac d’Ohrid, dans l’est de l’Albanie, réside une espèce de truite endémique très appréciée : le Koran. Ce poisson, victime de la surpêche il y a quelques années, survit grâce à aux mesures de protection mises en place, et au travail des pêcheurs locaux. En cette période hivernale, l’heure est à la récolte des œufs des femelles, et leur élevage en écloserie.
Ce mardi 30 janvier, le village de Lin, dans l’est de l’Albanie, à quelques kilomètres de la frontière macédonienne, se réveille sous un vent glacial. Personne ne traîne dans les rues partiellement enneigées, et seuls deux pêcheurs se sont aventurés sur le lac d’Orhid, qui fait face à la localité. Il est agité, et leur petite barque jaune se fait malmener. Après un difficile retour sur la berge, les pêcheurs exhibent fièrement leurs prises. Leurs filets retiennent une multitude de coquillages et de poissons. Deux d’entre eux font une trentaine de centimètres et arborent des écailles tachetées de noir et de rouge. Ce sont des des truites du lac d’Orhid, appelées korans, ou “Salmon letnika”.
Avec ses 358 km², le lac d’Orhid, l’un des plus vieux du monde, est un trésor de biodiversité. 146 espèces y sont endémiques – elles n’existent qu’ici – dont le Koran. Malgré le vieillissement de la population, les barques pour se rendre sur le lac se comptent par dizaines dans le petit village, et la pêche occupe toujours une place importante. Le Koran est très apprécié dans le pays et particulièrement dans cette partie de l’Albanie. Son goût saumoné fait le bonheur des cuisiniers et certains restaurants le proposent toute l’année à la carte. Pourtant, sa pêche est interdite entre le 1er décembre et le 1er mars. Une mesure prise par l’Albanie et la Macédoine du Nord, qui se partagent le lac, pour protéger cette espèce victime de la surpêche. Il y a quelques années, certaines associations s’inquiétaient de voir ce poisson disparaître.
Une conservation complexe
Mais ces politiques de conservation ont permis à l’espèce de survivre. Durant la période hivernale, seule une soixantaine d’habitants des villes et villages entourant le lac ont le droit de pêcher cette truite. Le but n’est pas de la consommer, mais de récupérer les œufs des femelles et la laitance des mâles. Les truites sont prélevées chaque jour, quand les conditions climatiques le permettent : « Cette année, on devrait récupérer près de 200 kilogrammes d’œufs », selon Gerti Sulo, pêcheur depuis plus d’une vingtaine d’années, et employé depuis trois ans dans l’écloserie de Lin, où les œufs sont conservés. L’année dernière, la même quantité d’œufs a pu être prélevée, permettant ainsi d’élever 1,7 million d’alevins, les jeunes poissons prêts à être relâchés dans le lac.
Dans l’écloserie, les œufs des femelles sont fécondés grâce à une procédure précise, en mélangeant la laitance des mâles et de l’eau douce. Ces œufs laissent place à des larves « après une trentaine de jours », explique Gerti Sulo, puis à des alevins. Les jeunes truites sont fragiles, et leur croissance est très contrôlée : « On les place dans des bacs spécifiques selon leur taille. Et au bout de six mois, quand les alevins font entre cinq et sept centimètres, on les relâche », précise Gerti Sulo. Il faudra ensuite attendre près de sept ans pour que les truites atteignent leur taille maximum, selon le pêcheur.
L’écloserie de Lin existe depuis près de cinq décennies, mais les récentes mesures ont accéléré la production de ces alevins. En 2020, 1,5 million de jeunes truites étaient sorties de ces bacs, contre 1,7 million l’année dernière. Il est cependant nécessaire de faire la différence entre ce travail de préservation et la pisciculture que l’on peut retrouver aux quatre coins du pays et qui ne cesse de croître. En 2012, la production de truites s’élevait à 50 tonnes en Albanie selon le ministère de l’Agriculture. Ce chiffre devrait atteindre le double aujourd’hui selon Martin Jaçe, administrateur de l’association des pêcheurs, cité par La Croix.