L’accord migratoire entre l’Italie et l’Albanie divise le pays

L’accord migratoire entre l’Italie et l’Albanie divise le pays

Validé par le Conseil constitutionnel albanais ce lundi 29 janvier, l’accord entre Rome et Tirana prévoit l’externalisation de la prise en charge des migrants arrivés sur les côtes italiennes dans le petit pays des Balkans.

À quelques pas des complexes hôteliers qui longent le littoral, une rangée de bateaux flotte dans le port de Shëngjin. Lieu de villégiature privilégié des Kosovars l’été, la plage est déserte ce mercredi 31 janvier. C’est dans cette petite ville côtière du nord-ouest de l’Albanie que doit être construit au printemps un centre d’accueil chargé d’enregistrer les demandes d’asile des migrants secourus dans les eaux italiennes. Ceux-ci seront ensuite conduits à vingt kilomètres de là, dans la municipalité de Gjadër où un un centre d’hébergement d’une capacité de 3000 places doit accueillir 36000 migrants par an.

Signé en novembre, l’accord entre Rome et Tirana a obtenu le feu vert du Conseil constitutionnel albanais ce lundi 29 janvier. En décembre, trente députés de l’opposition avaient saisi la juridiction, dénonçant une violation de la souveraineté nationale du pays. Au-delà des frontières albanaises, le projet s’attire les foudres des ONG, comme l’International Rescue Committee (IRC) qui fustige un accord “déshumanisant” ou Amnesty International qui dénonce une “proposition irréalisable, nuisible, illégale“.

“L’hospitalité est au cœur de l’esprit albanais”

Mais, depuis son imposant bureau en bois, Pjerin Ndreu, le maire socialiste de Lezhë en charge des villes de Shëngjin et Gjäder, soutient mordicus le projet dont il souligne la composante humanitaire. “L’Albanie est certes un pays pauvre, mais l’hospitalité est au cœur de l’esprit albanais. On ne dit jamais non à quelqu’un dans le besoin“, défend-il. L’édile en veut pour preuve les quelque 4000 réfugiés afghans accueillis en Albanie depuis la prise de Kaboul par les talibans en 2021. Supervisée par les États-Unis, la prise en charge des Afghans s’effectue dans cette même ville de Shëngjin, où 600 afghans logent toujours.

Mais l’enthousiasme de Pjerin Ndreu ne s’est pas répandu chez l’ensemble de ses administrés. Quelques jours après la conclusion de l’accord avec la présidente du conseil italien Georgia Meloni, en novembre, quelques dizaines d’habitants se sont rassemblés devant la mairie de Lezhë pour protester contre le projet. “Autrefois, se rassemblaient les princes, aujourd’hui se rassemblent les migrants“, pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants. Recrudescence de l’insécurité, manque de moyens de l’Albanie, dégradation de l’image du pays auprès des touristes… Les contestataires ont méthodiquement détaillé leurs craintes dans les rues de la ville. “Il n’y avait que trente manifestants, on ne peut pas parler d’opposition“, balaie d’un revers de main Pjerin Ndreu.

Une étape vers l’intégration de l’Union européenne

Malgré quelques manifestations sporadiques, d’autres d’Albanais voient cet accord d’un bon oeil. “Nous sommes nous-mêmes un pays d’émigrants. Ce serait totalement contradictoire d’empêcher des migrants d’être accueillis en Albanie“, soutient Albani, un entrepreneur à Tirana. D’après ce cinquantenaire, l’hostilité d’une partie de la population provient d’un simple malentendu : “Les gens pensent que c’est l’Albanie qui va financer le projet. Comme nous sommes un pays pauvre, ils ne comprennent pas que le gouvernement préfère dépenser de l’argent pour des étrangers. En réalité, c’est l’Italie qui financera l’ensemble du projet.” En effet, Rome est responsable de l’entièreté du financement, de la construction des deux structures à la sécurité en passant par les soins médicaux des demandeurs d’asile. Des dépenses estimées entre 650 et 750 millions d’euros sur cinq ans.

Pour Keida Ymeraj, coordinatrice de l’association Save the Children à Shëngjin, le pacte noué par Edi Rama et Georgia Meloni s’inscrit dans la stratégie d’intégration européenne de l’Albanie. “Edi Rama espère ainsi gagner le soutien de l’Italie pour intégrer l’Union européenne dans un futur proche“, explique la jeune femme. Dans ce pays où les drapeaux de l’UE flottent fièrement dans les villes, le rêve européen reste intact. Candidate depuis 2014, l’Albanie peine encore à mener une réforme satisfaisante de son système judiciaire et à intensifier sa lutte contre la corruption et la criminalité organisée. Des dispositions indispensables pour espérer rejoindre un jour les Vingt-Sept.

Photo : Titouan Allain

Légende photo : Pjerin Ndreu, maire de Lezhë

Eloïse Cimbidhi

Eloise

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