Amour, émigration, combat : la Nouvelle Vague du cinéma albanais
Hors de ses frontières, l’Albanie est souvent absente des écrans. Rencontre avec le réalisateur Erenik Beqiri, seul cinéaste local a avoir remporté une récompense internationale, qui évoque l’existence d’une Nouvelle Vague cinématographique albanaise, désireuse de se faire remarquer et de gagner en reconnaissance.
L’amour, la pauvreté, l’émigration forcée et la violence, tous sont des thèmes qu’Erenik Beqiri aborde dans ses courts-métrages. Son film “A Short Trip” (un court voyage) a été récompensé par le prix Orizzonti à la 80e édition de la Mostra de Venise en 2023. Cela a été un moment de fierté pour le réalisateur albanais. Il est le premier de son pays à avoir fait son entrée dans la compétition officielle du Festival de Cannes en 2019.
Originaire de Tirana, Beqiri a été contraint de s’adresser au producteur français Olivier Berlemont pour financer son premier film à la fin de ses études de cinéma à l’Académie des Arts de Tirana. « C’est difficile car il faut aller chercher des fonds et attendre les réponses des gens », confie-t-il. Il est heureux d’avoir concrétisé ses projets, mais regrette de ne pas avoir trouvé de financement dans son pays.
« L’Albanie a des histoires à raconter, et chaque cinéaste du pays devrait pouvoir en dire quelque chose », souligne Beqiri. Il fait partie de la deuxième génération ayant suivi la chute du régime communiste. Il a choisi de rester vivre dans son pays, croyant en une Nouvelle Vague de cinéastes albanais déterminés à « raconter l’histoire et la rendre accessible de la meilleure manière possible. »
Une vision albanaise qui manque à la scène internationale
Entre Paris et Tirana, le réalisateur a déjà été confronté aux réactions de nombreux spectateurs étrangers à ses deux films. “A Short Trip” explore l’histoire d’un couple albanais prêt à tout pour obtenir la nationalité française. “The Van” raconte les aventures d’un jeune homme luttant pour récolter suffisamment d’argent afin de quitter l’Albanie avec son père. Ces histoires sont très familières à l’environnement d’Erenik.
« J’absorbe des choses qui m’entourent et j’essaie de les mettre dans un film », explique le réalisateur, surpris de constater à quel point les étrangers sont ignorants de ce qui se passe en Albanie. Selon l’AFP, entre 1990 et 2020, au moins 1,68 million d’Albanais, soit 37 % de la population, ont quitté le pays. « On m’a déjà demandé pourquoi les Albanais ont besoin d’émigrer ? Et je me suis dit, d’accord, les gens ne connaissent pas vraiment les enjeux du pays », confie Erenik, qui compte sur la Nouvelle Vague pour faire entendre leur point de vue sur leur histoire souvent mal racontée.
« Les étrangers font des films qui parlent de l’Albanie uniquement quand il s’agit du code du sang et des vierges jurées. Deux thèmes qui ne sont plus vraiment d’actualité dans le pays », reproche le réalisateur. Il juge leur démarche motivée par une vision fantasmée de l’Albanie, vue comme un pays exotique.
« L’Albanie a d’autres histoires à raconter, et elle devrait, comme le Kosovo le fait très bien, aborder les problèmes sociaux et les traduire en films contemporains afin de toucher le public », ajoute le cinéaste, tout en mettant l’accent sur l’importance de garder une dimension divertissante dans les films qu’il propose.
Les personnages d’abord, la thématique après
Outre l’émigration, le réalisateur met l’accent sur le fait que les personnages sont au cœur de ses histoires. « J’essaie simplement de penser plus aux personnages qu’aux thèmes abordés, mais étant donné que je viens d’Albanie et que l’immigration est une grande partie de notre société, cela vient naturellement. »
Travaillant actuellement à Paris sur son premier long métrage, le cinéaste explique que ce film ne sera pas lié à son pays. « Si je m’attardais sur le thème, cela reviendrait à donner une leçon aux gens, ce qui n’est pas mon objectif». Seul cinéaste albanais à avoir été récompensé à l’étranger, il envisage déjà un avenir où d’autres réalisateurs locaux, comme lui, jouiraient d’une reconnaissance internationale.
Léa ZACSONGO-JOSEPH