30 ans de vols : le fléau des pilleurs de sites archéologiques en Albanie

30 ans de vols : le fléau des pilleurs de sites archéologiques en Albanie

L’Albanie possède un très riche patrimoine archéologique, autant préhistorique, antique que moderne. Et celui-ci fait des envieux. Depuis les années 1980, les pilleurs abîment, volent et revendent pièces de monnaie, sculptures, icônes et autres artefacts anciens, et le phénomène ne cesse pas.

Parfois nos archéologues se rendent sur un site pour une expédition officielle, et ils le trouvent déjà excavé”, soupire Geme Kraja, toujours tendue à l’évocation des pilleurs. La directrice du musée archéologique de Tirana (NMAT) travaille tous les jours avec les chercheurs de l’Institut national d’archéologie, hébergé dans le même bâtiment que le musée. 

Plus de 2000 de leurs trouvailles y sont exposées, de la Préhistoire au Moyen-Âge. Toutes proviennent d’Albanie et surtout “toutes authentiques, il n’y a aucune copie”, précise la conservatrice. D’autant que les réserves en abritent cinq fois plus au sous-sol. Mais des milliers d’entre eux disparaissent avant d’arriver dans ses réserves à cause de pilleurs qui visent les nombreux sites archéologiques albanais.

Plus les sites sont grands et reculés, plus le risque augmente. Apollonia, ancienne ville grecque puis romaine à 2 heures au sud de la capitale, s’étend sur plus de 100 hectares. Les archéologues n’ont pas encore pu explorer toutes les ruines, mais y retrouvent parfois des trous béants, des débris de poteries… “Il n’y a pas de caméras ou de mesures de sécurité suffisantes pour trouver les coupables”, relève la directrice du NMAT. 

Le patrimoine archéologique est très riche sur le sol albanais, notamment pour la période antique.
Photo : Mia Goasguen–Rodeno

Il faut garder en tête que ce sont parfois des sites de plus de 10 000 ans. Certains ne sont même pas accessibles par la route, et les archéologues doivent marcher deux ou trois heures pour y accéder : vous ne pouvez pas les faire protéger”, déplore-t-elle. Idem pour la quarantaine d’épaves identifiée en 2006 le long des côtes. En 2018, l’archéologue albanais Neritan Ceka explique à l’AFP que “la plupart des richesses qui reposaient à une profondeur de 20 à 30 mètres ont quasiment entièrement disparu sans laisser de traces”.

30 ans de pillage illégal

En 1982, un trésor de 618 pièces de monnaie antique en argent, entre autres d’Alexandre le Grand, est retrouvé par hasard dans une cité antique de 20 hectares au sud-est du pays. Il lance une première vague de pillage. Aujourd’hui encore, les archéologues retrouvent encore des nouveaux trous sur ce site de Hija e Korbit, ou “Ombre du Corbeau”, pourtant loin dans les montagnes au-dessus de Korçë. 

Dans les années 1990, le phénomène s’intensifie avec la crise économique qui frappe l’Albanie. “La transition du communisme à la démocratie était une sorte d’ère noire pour l’archéologie”, regrette Geme Kraja, “il y avait beaucoup de problèmes dans le pays et la conservation culturelle n’était pas la priorité.” Une nouvelle série d’excavations sauvages s’ensuit, pour espérer en tirer un bon prix. Et les sites archéologiques ne sont pas les seuls à être visés. En 1997, les statues de marbre et les pièces sont volées du petit musée du site d’Amantia.

Résultat : des dommages irréparables sont faits à des structures et des objets riches en histoire, quand ils ne disparaissent pas tout simplement de la circulation. “Chaque objet archéologique est unique, il peut être beau ou non, précieux ou non, mais il est unique”, martèle Lavdosh Jaupaj, archéologue pour la mission franco-albanaise qui travaille à Apollonia. Depuis une loi promulguée 2003, récupérer illégalement les objets antiques revient à voler la propriété de l’Etat. “En Angleterre, ce que vous trouvez est à vous, en France, c’est à l’Etat. Et en Albanie, la législation est la même qu’en France”, explique l’archéologue de la mission franco-albanaise. “Maintenant, ce qui est trouvé en Albanie reste dans le pays, à l’exception des prêts pour des expositions temporaires”, ajoute-t-il.

Le musée national d’archéologie de Tirana est chargé de conserver les découvertes en provenance de tout le territoire.
Photo : Mia Goasguen–Rodeno

Un trafic international

Mais la situation actuelle alarme l’ICOM, le Conseil international des musées, dont fait partie celui de Tirana. L’institution a décidé de lancer en 2021 sa 18e liste rouge des biens culturels en danger, et cette fois-ci, elle concerne spécifiquement les pays d’Europe du Sud-est. Car les biens volés se retrouvent souvent à alimenter le trafic international et les pilleurs sont aussi des étrangers.

L’Albanie participe au programme Pandora coordonné par Europol, et qui lutte contre le trafic d’œuvre d’art. Grâce à cela, en décembre 2023, Tirana a pu rendre une vingtaine d’icônes à la Macédoine du Nord, retrouvées par la police albanaise. Cette dernière a aussi retrouvé, deux jours plus tard, à Fier, 107 œuvres d’art provenant de Grèce, pour une valeur 1,5 million d’euros. En mars 2022, pas moins de 4.000 objets anciens et œuvres d’art ont été découverts chez un homme déjà connu pour vol et trafic d’objets culturels en 2013. “Le plus difficile est de récupérer ces objets vendus illégalement”, assure Geme Kraja, qui espère en voir certains revenir dans ses collections.

Mia Goasguen–Rodeno

Mia Goasguen--Rodeno

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