Réfugiés afghans : l’Albanie en attendant la terre promise

Réfugiés afghans : l’Albanie en attendant la terre promise

Plus de 4000 réfugiés afghans ont été accueillis en Albanie à la demande des Etats-Unis après la prise de pouvoir des talibans en août 2021. Un complexe hôtelier 5 étoiles dans la ville côtière de Shëngjin a été aménagé pour les accueillir. Pourtant l’Albanie n’est pas leur destination finale, et l’attente se fait longue. 

Un ballon lancé trop fort heurte les pieds de la Statue de la liberté et deux jeunes garçons courent pour le récupérer. Ils se frayent difficilement un chemin entre les jambes et le brouhaha des mères de familles qui profitent des rayons de soleil, avant le début de leur cours de cuisine. Les pleurs des enfants en bas âges qu’elles portent dans les bras ajoutent au brouhaha ambiant. Au bord de la piscine, des hommes attablés autour d’un café s’échangent quelques phrases entrecoupées de longs silences, comme pour mieux étirer le temps qui passe lentement à l’ombre des palmiers. Puis leurs regards se perdent vers l’horizon et la mer Adriatique. 

A quoi pensent-ils? A leur vie paisible en Afghanistan avant que les talibans n’y prennent le pouvoir en août 2021? Des milliers de kilomètres les éloignent de cette vie passé et du lieu dans lequel ils rêvent de se construire la prochaine. La statue de la Liberté n’est qu’une réplique… Le cadre de l’hôtel Rafaelo, à Shëngjin, sur la côte du nord-ouest de l’Albanie, a beau être idyllique, il reste bien différent de la côte des Etats-Unis qui leur a été promise. 

À l’entrée de l’hôtel Rafaelo de Shëngjin trône une réplique de la statue de la liberté. Crédit: Titouan Allain.

« Si j’étais resté … ils m’auraient tué »

« Mon séjour ici n’est que temporaire. Ma femme et mes enfants sont en sécurité. Le lieu est agréable mais je ne veux pas rester ici », assure Abdul Raof Abdel Malik. Cet afghan de 33 ans fait partie de ceux qui travaillaient de près ou de loin avec les Américains qui avaient un rôle considérable en Afghanistan, avant la prise de pouvoir des talibans. Ayant peur pour leur vie, ils ont dû fuir leurs maisons, en espérant aller aux Etats-Unis. « J’ai travaillé en 2010 dans une entreprise qui fabriquait du matériel pour les bases militaires américaines du pays. Dès lors je recevais souvent des lettres de menaces des talibans. Si j’étais resté en Afghanistan après leur prise du pouvoir, ils m’auraient tué », raconte-t-il la voix tremblante.

Une organisation tentaculaire 

L’Albanie a accepté, à la demande des américains, d’accueillir ces réfugiés en transit, le temps de vérifier leur identité, leur passé. Mais les formalité durent. Alors à Shëngjin, l’organisation de l’accueil des évacués afghans demande une organisation tentaculaire. Près de 800 réfugiés sont pris en charge actuellement à l’hôtel, tandis que 4000 en tout, y ont été accueillis depuis septembre 2021.

L’Unicef, principale organisation finançant leur accueil, a totalement transformé le Rafaelo Resort, un imposant complexe hôtelier 5 étoiles, en un village miniature adapté aux familles. Dans les murs a été créé, entre autres, un centre de soins de santé primaires, une garderie, un lieu d’accueil pour les femmes enceintes et nouvellement mères ainsi qu’un lieu dédié aux femmes. Symbole de cette métamorphose à grande échelle, la discothèque de l’hôtel a été transformée en une imposante salle de jeux où des centaines de dessins d’enfants s’alignent sur les murs. La majorité des réfugiés accueillis ici sont mineurs car un grand nombre d’évacués sont partis en famille, les Talibans ayant interdit aux femmes sans accompagnateurs masculins de quitter le territoire afghan. 

Les enfants dessinent leurs rêves sur les murs de la discothèque transformée en salle de jeux. Crédit: Titouan Allain.

Une « initiation » à la vie aux États-Unis

« Tous ces différents lieux ont été aménagés afin que les réfugiés afghans puissent vivre en Albanie une période intermédiaire de transit entre l’Afghanistan et les États-Unis. Notre but est d’atténuer autant que possible un éventuel choc culturel », explique Keida Ymeraj. Selon cette coordinatrice de Save The Children, une des cinq ONG opérant sous l’égide de l’Unicef dans l’hôtel, l’Albanie constitue un pays idéal pour initier les évacués afghans à la vie aux États-Unis. « L’Albanie est un pays accueillant, où les réfugiés peuvent se mêler sans difficultés à la vie sociale. Le vivre ensemble entre les diverses communautés religieuses du pays est un facteur déterminant de cette intégration », détaille la responsable. À noter que la procédure d’accueil des Afghans dans le pays est peu commune, puisqu’il leur est permis de quitter l’hôtel en toute liberté, ce qui est rarement le cas dans d’autres camps de réfugiés en Europe. 

Cette ouverture à l’autre des Albanais, Pjerin Ndreu, le maire du district de Lezhë où se situe la ville de Shëngjin, l’explique par « la longue tradition d’hospitalité » du pays. « Cela fait presque deux ans que nous accueillons la population afghane à bras ouverts et aucun incident ne s’est produit. Le fait qu’ils sont majoritairement de religion musulmane dans un district principalement catholique n’a nullement empêché le fait qu’ils soient traités comme des amis. Ils sont invités aux activités culturelles que la mairie organise », affirme fièrement le maire. « Même les personnes qui s’opposaient à leur installation à Shëngjin ont changé d’avis et ont réalisé qu’ils avaient tort », insiste le maire, membre du parti du premier ministre Edi Rama qui est à l’origine de cette politique d’accueil.

“L’Albanie a une longue tradition d’hospitalité”, Pjerin Ndreu, maire du district de Lezhë. Crédit: Titouan Allain.

Un séjour rallongé

Ce bon accueil n’empêche pas les évacués afghans, comme Abdul Raof Abdel Malik, de compter les jours qui passent et rallongent son attente d’arriver en terre promise. « Notre séjour en Albanie était censé durer un mois, grand maximum. Cela fait plus de 9 mois aujourd’hui que nous attendons. Ma demande de visa pour les Etats-Unis a déjà été refusée à deux reprises », se désole le trentenaire. « Je ne peux me permettre de rester en Albanie puisque les offres de travail y sont restreintes. Je me dois de trouver urgemment un travail bien rémunéré aux États-Unis afin de pouvoir envoyer assez d’argent à mes parents qui n’ont pu quitter l’Afghanistan », confie Abdul Raof. 

Grâce à sa maitrise de l’anglais, il s’est fait embaucher par l’Unicef avec le statut hybride de « volontaire rémunéré » afin de faciliter la communication entre les réfugiés et les membres des organisations ne maitrisant que rarement l’afghan. « J’envoie à ma famille 200 des 316$ que je gagne chaque mois. Sans cet argent mes parents seraient morts de faim en Afghanistan », murmure-t-il en retenant fièrement ses larmes. Un cas loin d’être majoritaire selon Keida Ymeraj, coordinatrice d’une ONG s’occupant de l’accueil des évacués. « La majorité des réfugiés quittent l’Albanie au bout de trois semaines. Peu de dossiers trainent autant. », reprend-t-elle. 

Keida Ymeraj, coordinatrice de Save The Children, une des cinq ONG opérant sous l’égide de l’Unicef. Crédit : Titouan Allain.

Un accueil conditionné

L’exode des Afghans s’avère finalement complexe… les portes du « paradis » sont loin d’être ouvertes à tout le monde. « Pour quitter l’Afghanistan, il est nécessaire de présenter aux instances américaines une lettre de recommandation de mon supérieur dans l’entreprise pour laquelle je travaillais et qui avait des contrats avec le gouvernement américain », explique Abdul Raof. « S’envoler directement pour les États-Unis était impossible. Nous avons donc été conduit en Albanie pour y attendre l’instruction de notre demande de visa pour les Etats-Unis », continue-t-il.

 L’Albanie comme le Kosovo et la Macédoine du Nord sont des pays qui ont accepté le rôle de « pays de transit » que leur a proposé les États-Unis. Cela peut s’expliquer par la volonté de l’Albanie de se rendre indispensable sur la scène internationale. Ce n’est pas la première fois que ce petit pays de 2,8 millions d’habitants se rend utile aux grands. L’Albanie, allié inconditionné de Washington et de l’Union Européenne, reçoit déjà à la demande de l’ONU et spécifiquement des États-Unis 3000 moudjahidines iraniens et près de dix Ouïghours évacués de Guantanamo. Tirana vient également d’accepter ce lundi 29 janvier d’accueillir sur ses terres les migrants demandeurs d’asile en Italie.

Yara EL GERMANY

Yara

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