Le street art en Albanie, un long chemin vers l’acceptation

Le street art en Albanie, un long chemin vers l’acceptation

Dans les ruelles de Tirana, l’art se cache à chaque coin de rue : des peintures et des graffitis ornent les boîtiers électriques, les commerces et les immeubles. Autrefois rejeté, ce phénomène est désormais devenu un élément incontournable de cette ville en émergence.

Impossible de la manquer. Dans le centre de Tirana, une jeune fille sur 30 mètres fixe les passants du regard. Cette fresque, au milieu d’un carrefour, représente l’enfant protégée par une main adulte, captivante et intrigante, elle habille parfaitement le mur de cet immeuble. « Aujourd’hui, il en existe probablement une centaine à Tirana », confie Helidon Haliti, peintre de renommée internationale, professeur à l’Académie des arts de Tirana, et membre de l’association Vizart.

En 2018, Helidon Haliti a introduit le concept de fresques murales géantes en Albanie, avec pour objectif de changer l’usage des murs qui affichaient auparavant des propagandes dictatoriales ou des messages politiques. « Nous ne voulons plus de ça. Les murs appartiennent maintenant aux peuples, c’est pour cela que j’ai eu cette idée. Personne ne m’a poussé à faire cela. »

En six ans d’exercice, le peintre a invité plus d’une cinquantaine d’artistes albanais et étrangers à peindre sur les murs de Tirana et d’ailleurs. La seule contrainte : créer une fresque incarnant Tirana. Son rêve ? Faire de la capitale « un musée à ciel ouvert ».

Un projet prometteur à la réception en demi-teinte

Le street art est désormais intégré à Tirana. Mais il y a sept ans, c’est à Ura Vajgurore, loin de la capitale, que Helidon a démarré son projet. Face aux sceptiques, l’artiste se souvient des réflexions désabusées des habitants : « Nous n’avons pas de quoi manger et tu nous ramènes des peintures murales ? » Cependant, le succès à Ura Vajgurore, aujourd’hui renommé Dimale, a radicalement transformé la ville en une référence internationale du street art, avec des œuvres comme la peinture « flirting » de Wild Drawing.

« Aujourd’hui, Dimale attire les touristes grâce à ces fresques. La ville a même été nommée par le Swiss magazine parmi les 10 villes au monde avec le plus beau street art, aux côtés de la Californie, de l’Autriche et de la Norvège. » Malgré les fresques détruites par le tremblement de terre, le gouvernement a insisté pour leur reconstruction en 2020, témoignant de leur acceptation même au plus haut niveau social. Cette première réussite a conduit Helidon à importer avec succès le projet à Tirana. Cependant, dans la capitale, le street art n’est pas accepté sous toutes ses formes.

« Le problème qu’on a aujourd’hui ici à Tirana, c’est que tout le monde aime peindre, tout le monde pense qu’il est un bon artiste, donc c’est la guerre pour avoir un bon mur », grommelle Helidon, observant une prolifération croissante de peintures murales et de graffiti qui ne sont pas de son initiative.

Après le succès de son festival, le « Muralfesttirana », un projet européen a entrepris une démarche similaire, financé et soutenu par la municipalité. A contrario, les fresques de l’association Vizart, d’un coût moyen de 1.200 euros, sont aussi utilisées à des fins publicitaires par des marques telles que Coca-Cola, Polaroid et Peja, sponsors du festival qui imposent la création d’une fresque à leur image. Bien que cela contrarie les artistes participant, ce compromis permet de financer d’autres œuvres qui ne sont pas affectées par le partenariat.

Leur projet européen consiste à réaliser des fresques murales représentant l’émancipation féminine, « une idée formidable » mais qui comporte un certain lot de problèmes dans sa mise en place selon le professeur en art. « Il ne consulte pas les habitants et ne demande pas de comptes aux artistes qu’ils font venir.  » Résultat : leur première tentative a dû être repeinte. « Ils ont fait venir un peintre italien nommé Némo qui a peint deux personnes âgées nues, ça a choqué les Albanais », critique le pionnier des peintures murales. « L’art public doit être accepté par tous, c’est pourquoi de mon côté, je vérifie toujours ce que viennent peindre mes artistes », poursuit le professeur qui voit également d’un mauvais œil les graffitis faits sans autorisation, sur les murs.

Cependant, les jeunes, comme Eni Duka, étudiante à l’Académie des arts, apprécient la diversité qu’offre l’art de rue. « Les peintures murales sont plus neutres, plus populaires, avec des techniques plus complexes, tandis que le graffiti, une autre forme d’art, ne s’adresse pas à tous. » Malgré les divergences entre artistes, pour elle, le street art demeure un moyen d’expression libre et attractif pour Tirana. Cependant, les jeunes, comme Eni Duka, étudiante à l’Académie des arts, apprécient la diversité qu’offre l’art de rue. « Les peintures murales sont plus neutres, plus populaires, avec des techniques plus complexes, tandis que le graffiti, une autre forme d’art, ne s’adresse pas à tous. » Malgré les divergences entre artistes, pour elle, le street art demeure un moyen d’expression libre et attractif pour Tirana.

Des murs vibrant aux multiples bienfaits

« Les peintures murales aident à revaloriser les quartiers délabrés, incitant le gouvernement à réinvestir dans les immeubles détériorés. » D’après l’artiste, le street art a le potentiel d’attirer plus de touristes vers les quartiers moins visités. C’est pourquoi il a délibérément choisi la rue Nuçi Naçi, située au cœur de la zone la plus défavorisée de Tirana, comme emplacement pour sa fresque préférée réalisée par Fabian Bane Florin.

« Certains quartiers gagnent en valeur grâce aux fresques. Chaque emplacement n’est pas anodin. Par exemple, le portrait de Lionel Messi a connu un succès retentissant à l’international, donnant de la visibilité au peintre tout en revalorisant l’immeuble sur lequel il est peint. » Un impact qui n’est pas passé inaperçu auprès des marques et des commerces qui multiplient les fresques murales pour contourner les taxes des panneaux publicitaires et investissent dans une publicité XXL sous couvert de peinture murale dans toute la ville.

Malgré le détournement du concept par le capitalisme qui s’installe peu à peu dans l’ancien pays communiste, « l’art de rue éduque les gens en plus d’être un moyen populaire de rendre accessible la culture », explique Eni Duka, étudiante en troisième année de peinture murale. « Les Albanais ne ressentent pas le besoin d’aller en galerie d’art, alors on apporte l’art jusqu’à eux. Je souhaite un jour peindre une fresque murale pour faire don de ma créativité à la ville. » poursuit la jeune femme.

Ainsi, dans un mélange vibrant de créativité et de couleurs, Tirana s’apprête à devenir le rêve d’Helidon Haliti : un musée à ciel ouvert. Enthousiaste, le peintre annonce l’arrivée imminente d’un site qui propose un circuit complet de peintures murales, offrant aux habitants et aux visiteurs une opportunité unique de découvrir la ville à travers le street art. Façonné par la passion de ses artistes, l’avenir du street art en Albanie, promet une expansion dynamique, prêt à imprégner davantage de vie et de couleur aux rues du pays de l’aigle.

Léa ZACSONGO-JOSEPH

LeaZ

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