Les forêts albanaises victimes du développement économique du pays
En une vingtaine d’années, l’Albanie a perdu 50 % de ses surfaces boisées. Permis de construire non respectés, revente de bois à prix d’or ou encore usage personnel : les causes sont nombreuses. Le pays a interdit l’exploitation de ressources forestières en 2016 pour une durée de dix ans.
La forêt luxuriante de son enfance disparaît peu à peu. « Avant, il y avait des arbres partout, dans vingt ans ça ne sera que des immeubles », se désole Gant Gani, un habitant d’une trentaine d’années d’Elbasan. Face à lui, le terrain qu’une entreprise a acheté et sur lequel les cimes des arbres se font de plus en plus rares.
La raison est simple : des autorisations pour couper des arbres, octroyées par le gouvernement, qui ne sont parfois pas respectées. « Les entreprises peuvent couper beaucoup plus que ce qui est autorisé », souffle ce trentenaire. Dans un pays où les forêts couvraient 51% du territoire avant 1990, contre 25 % en 2016, la coupe d’arbres est théoriquement davantage contrôlée. La réalité est plus nuancée. Souvent, des immeubles sont construits sans aucune étude préalable.
L’Albanie voit en effet sa biodiversité bouleversée, d’autant plus que le gouvernement a le pouvoir de changer la loi pour octroyer des permis de construire dans des zones protégées. Une aberration pour Hasan Delu, bénévole d’AlbNatyra, une association de protection de l’environnement : « Il est nécessaire d’inscrire dans la loi une interdiction de construire ou bien rien ne changera », insiste-t-il.
Pour des intérêts commerciaux, le gouvernement cède régulièrement des espaces protégés à des sociétés engagées dans des activités hydroélectriques ou minières. La centrale hydroélectrique de Librazhd a notamment fait face à une forte contestation par les locaux et les associations environnementales lors de sa construction en 2021. Le développement économique du pays, après des années difficiles, est à ce prix-là.
« Le pire est à venir »
Dans une moindre mesure, des arbres sont également coupés pour être revendus. Dans cette forêt de Kraste, à quelques kilomètres d’Elbasan, plusieurs souches témoignent du déboisement illégal. Le mètre de pin et de hêtre se vend 25 euros une fois coupé et deux cents euros après production. Une manne financière importante dans un pays parmi les plus pauvres du continent européen.
Une hache et la main et une brouette bien remplie à ses pieds, un bûcheron tente de se faire discret: il risque une amende de 36.000 euros. Pour Hasan Delu, ces pratiques restent marginales : « Ce ne sont pas eux les premiers coupables, mais plutôt le gouvernement qui n’est pas assez regardant sur la coupe d’arbres ».
Le gouvernement albanais justifie la construction de bâtiments par le développement du pays. En plein boom touristique, le nombre de touristes en Albanie augmente de 20 à 30% chaque année et a atteint environ 10 millions de touristes en 2023.
Pour essayer d’encadrer la bonne gestion des espaces boisés, en juillet 2019, l’Albanie a créé l’Agence nationale des forêts chargée de superviser la gestion de ces dernières. Par ailleurs, à l’occasion de la COP26 de Glasglow, le pays a pris plusieurs engagements pour préserver ces terres, et notamment “inverser la dégradation des forêts”. De la poudre aux yeux pour Hasan Delu qui considère cela comme une ironie : « Le pire est à venir », lâche-t-il.