Les paris sportifs en Albanie: une interdiction en façade

Les paris sportifs en Albanie: une interdiction en façade

Il y 5 ans, le gouvernement albanais prenait la décision d’interdire purement et simplement les paris sur les compétitions sportives. Alors que certaines pratiques dissimulées continuent d’alimenter les soirées, la législation est sur le point d’évoluer.

“Avec les paris, les gens devenaient fous. Le gouvernement a été obligé d’agir”. Lorsqu’Elseid*, père de famille albanais, parle des paris sportifs dans son pays, la situation étonne. “Il y a eu des divorces, des suicides à cause de ça. Même des enfants de 5 ans jouaient!”, raconte l’habitant de Tirana.

Au milieu des années 2010, le gouvernement albanais mentionnait la présence de 4.200 bureaux de paris sportifs sur son territoire. Pour un pays qui compte 2,8 millions d’habitants, c’est un lieu pour moins de 700 habitants. Et que le salaire moyen avoisine les 400 euros mensuels.

C’est le sport national albanais”, écrit Albert Rakipi, chercheur, dans une tribune publiée dans l’Institut albanaise des études internationales. A la différence près que la dopamine des paris sportifs est ravageuse. D’après une étude de l’université de Tirana, un parieur sur quatre a fait une tentative de suicide dans sa vie.

Grands maux, grands remèdes 

Face à ce fléau social, plusieurs institutions se sont levées. “En 2015, le gouvernement a pris en main le sujet”, raconte Rozana Gjergji, avocate albanaise. L’idée ? Déterminer des conditions d’exercice saines pour les parieurs. Le travail politique a accouché d’une seconde loi, votée en 2018. Et a misé sur une législation stricte : l’interdiction pure et dure de parier. Dans cette loi s’ajoutaient plusieurs restrictions sur les casinos, comme l’interdiction de jouer à des jeux d’argent dans des zones résidentielles. Aux grands maux les grands remèdes, donc. “Une bonne chose pour tout le monde”, se souvient Rozana Gjergji.

Mais cinq ans après, et malgré la loi, les Albanais continuent de parier. Dans un quartier résidentiel et familial de Tirana, au milieu des tours construites sous le communisme, nombreux sont les bars qui permettent de parier illégalement. Pour cela, il suffit de connaître le tenancier du troquet et qu’il possède un compte de pari en ligne. “Pour parier chez moi, c’est simple. Les gens viennent, me donnent l’argent en liquide, regardent le match et viennent récupérer l’argent s’ils gagnent”, raconte le gérant, discret sur la pratique.

Les garçons de café albanais continuent de parier illégalement

Et ailleurs qu’à Tirana, c’est possible“, complète Elseid*. D’après le site en ligne allemand Statista, les Albanais seraient encore des dizaines de milliers à parier. Un chiffre en augmentation depuis 2018. 

Assouplissement

Pour raffermir les ardeurs, le gouvernement du socialiste Edi Rama multiplie lui les actions. En décembre dernier, 250 lieux de paris illégaux ont été fermés, après une opération coup de point et presque 1000 contrôles de bars. L’ambition est claire : montrer l’exemple en matière de lutte. “Nous sommes en train de remplir les conditions pour rentrer dans l’Union européenne”, rappelle Rozana Gjerji. Et 15 règles sont à remplir pour que l’intégration de l’Albanie soit effective. Dans ces 15, la lutte contre la corruption et l’illégalité.

Et cela éclabousse aussi le football professionnel. En 2016, le club de première division du KF Skënderbeu Korçe, sept fois champion depuis 2010, a été exclu pendant 10 ans de toutes compétitions européennes. Le système de détection des fraudes le soupçonne d’avoir truqué plus de 50 matchs. Il s’agit de la plus grande amende jamais infligée par l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen. L’affaire est encore en cours.

Depuis 2023, certains députés et membres du gouvernement militent pour assouplir la loi de 2018. Les Albanais ont désormais, sous contrôle, la possibilité de parier en ligne dans des agences référencées. Elles paient 400 millions de lekë albanais (un peu moins de 400.000 €) pour avoir une licence. Les autorités sportives continuent de pousser pour le retour de la légalité, au motif des revenus que les paris génèrent. Reste à voir comment les Albanais s’approprient ces nouvelles règles du jeu.

Ulysse Llamas

Ulysse

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