Ces jeunes qui rêvent de quitter l’Albanie

Ces jeunes qui rêvent de quitter l’Albanie

Nombreux sont les jeunes albanais qui prennent racine en dehors du pays. Souvent qualifiés, ils sont le visage d’une forme d’émigration différente de celle de 1991, avec la crise des réfugiés.

Je ne reviendrai pas. Pour moi, c’est une réponse définitive.” Pamela Qendrai est née l’année de la crise des réfugiés albanais de 1991, durant laquelle près de 20.000 Albanais retrouvent les côtes italiennes, après un périple qui porte le sceau du désespoir et des derniers souffles du régime communiste.

Pamela a quitté l’Albanie pour l’Allemagne en 2014. À l’époque, elle faisait partie d’une des premières vagues de la fuite des cerveaux, nouvelle émigration de masse qui inquiète aujourd’hui le pays. Selon l’institut de statistique Republic of Albania Institute of Statistics (INSTAT), ils étaient près de 36.000 à quitter le pays entre 2021 et 2022. Près de 21.300 d’entre eux avaient, en 2022, entre 20 et 29 ans. Dans le pays de moins de 3 millions d’habitants. La perte est rude.

Une vie meilleure

Pamela cite une motivation personnelle à sa fuite: ses nombreux voyages en famille pendant son enfance et son goût pour l’ordre qui “s’insère parfaitement à la culture allemande“. Mais elle note aussi une tendance générale. Employée chez Lufthanza Cargo et détentrice d’un doctorat, elle note: “En Albanie, j’aurais probablement eu un meilleur statut professionnel, mais ma vie aurait été plus difficile“. Elle mentionne notamment l’absence de sécurité de l’emploi et d’une sécurité sociale forte.

Un sentiment vérifié par l’examen de performance des économies de l’ouest des Balkans, comparé aux piliers européens des droits sociaux, publié par le Regional Cooperation Council (RCC) en 2022. Dans ce pays, les dépenses sociales sont plus faibles qu’ailleurs. Entre autres, l’assurance chômage y reste limitée. De son côté, le “filet de sécurité sociale” n’y possède qu’une “portée restreinte“, en l’absence de revenu minimum garanti, d’allocations familiales et d’un accès suffisant aux services de santé. Pour le RCC, “le pourcentage de la population menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale reste l’un des plus élevés d’Europe.”

Le rêve européen

Mais cette émigration n’est pas uniquement motivée par la recherche d’une sécurité financière à long terme. Pour Sokrat Palushi, chercheur et statisticien passé par l’INSTAT, les jeunes qualifiés recherchent aussi un meilleur équilibre de travail, quand, en Albanie, 75% des salariés travaillent plus de 40 heures par semaine (RCC). Reste aussi à trouver des emplois qui correspondent à leurs — souvent longues — études. Lui a choisi Barcelone, mais rêve de Bruxelles. “Je veux trouver un emploi à portée internationale“, confie-t-il.

Et les pays d’Europe sont plus que réceptifs. L’Allemagne, avec ses 22% de population âgée de plus de 65 ans en 2022 (Eurostat), est très représentée dans les schémas de migration. Une tendance qu’elle encourage, notamment par des programmes de bourses. En novembre dernier, l’Office allemand d’échanges universitaires (DAAD) en annonçait une nouvelle: “Campus Initiative for International Professionals” (Initiative Campus pour les Professionnels Internationaux). “Après tout, nous avons besoin de toute urgence de plus d’esprits brillants et de mains travailleuses pour assurer la croissance et la prospérité de notre pays“, a déclaré la ministre fédérale de l’éducation, Bettina Stark-Watzinger. Sur le site du DAAD, pas moins de 26 bourses sont ouvertes aux Albanais.

Le retour des cerveaux ?

L’Albanie est le pays des Balkans qui envoie le plus ses étudiants à l’étranger. Ils étaient 18.181 entre 2019 et 2020, selon une analyse de Sokrat Palushi et Elma Çali, publiée par l’INSTAT en août 2021. En comparaison, ils étaient 15.749 en Serbie, second en lice, et 5.180 au Montenegro, dernier de la liste.

Mais tous ne comptent pas prendre racine hors de leur pays d’origine. Kristjana Dervishaj, 20 ans, vise la Turquie. Elle en étudie la langue et travaille déjà comme traductrice. Mais elle se destine à l’enseignement, en Albanie. “Je comprends très bien que tout le monde ait le droit d’aspirer à une vie meilleure. Cela me peine de voir des jeunes qui ont perdu l’espoir d’un avenir ici“, confie-t-elle. Optimiste, elle insiste: “Je pense que l’Albanie a beaucoup évolué ces dernières années, et qu’elle a le potentiel de se développer davantage.” Le détour par l’étranger reviendrait alors, pour elle, à se former des armes solides pour mieux participer à la construction d’une économie pérenne en Albanie. La question reste: serait-ce assez pour arrêter l’hémorragie de jeunes talents?

Shad De Bary

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