L’enseignement de la dictature gagne progressivement les livres d’histoire

L’enseignement de la dictature gagne progressivement les livres d’histoire

Ce vendredi 2 février, une dizaine d’élèves de l’école Xhezmi Delli de Tirana se sont rendus à la « Maison des feuilles », le musée de la surveillance secrète durant la dictature. Ces collégiens ont également pu échanger avec Simon Mirakaj un ancien prisonnier durant la dictature communiste.

« Est-ce qu’il y avait des côtés positifs au régime communiste ? », interroge timidement Dorotea, âgée de 14 ans. « Oui, le 11 avril 1985, quand on a appris la bonne nouvelle de la mort du dictateur ! », rétorque aussi sec et avec le sourire Simon Mirakaj. Voici un des échanges surprenants entre les élèves de l’école Xhezmi Delli de Tirana et l’ancien prisonnier durant le régime communiste. Le groupe d’une dizaine d’élèves en visite à la Maison des feuilles, le musée de la surveillance secrète, a bénéficié d’un échange précieux avec celui-ci.

Précieux parce que rare. La transmission du passé totalitaire du pays n’est pas une évidence depuis longtemps dans les écoles du pays. C’est dans une petite salle au fond du musée qu’ils se sont installés, accompagnés de leurs professeurs pour écouter attentivement l’histoire de cet homme âgé de 80 ans. Simon Mirakaj a livré un récit bouleversant sur son arrestation et la déportation de sa famille, persécutée car considérée comme riche par le pouvoir en place. Son oncle était pourtant le ministre de l’Intérieur de l’Albanie au moment où le pays a été envahi par l’Allemagne nazie en 1943.

Peu de temps avant ce témoignage, les collégiens ont bénéficié d’une visite détaillée des deux étages de la Maison des feuilles avec un guide du musée. Ces derniers sont restés bouche bée devant le matériel d’enregistrement utilisé par les agents de la Sigurimi (la police secrète du régime) pour espionner des milliers d’Albanais. « C’était du matériel digne de James Bond ou du FBI ! », plaisante une des encadrantes. Dans une autre pièce, ils semblent interloqués devant les images des mouchards posés par les agents de la Sigurimi cachés dans des vestes, des chaussures ou des sacs.

« Ce sont des sujets lourds, difficiles psychologiquement donc je considère que c’est suffisant pour le moment »

Ces sorties dans ces lieux de mémoire sont appréciées par les jeunes albanais. « C’est enrichissant, je suis vraiment content qu’on puisse en faire et j’aime en parler », déclare Xhulio. Mais l’adolescent de 14 ans regrette que les contenus des cours sur cette période de l’histoire ne soient pas plus développés. « Ce que l’on apprend en cours n’est pas suffisant, il doit y avoir plus d’informations. Par exemple, aujourd’hui, il n’y a qu’un chapitre consacré à la dictature, ce n’est pas assez », soupire-t-il.

Son enseignante d’histoire Manuela Reçi nuance ses propos. « Nous devons étudier dans chaque classe une petite période de l’histoire du régime communiste et l’année prochaine, ils étudieront un plus gros chapitre », assure l’enseignante de 40 ans. L’apprentissage de la dictature pour les professeurs a commencé progressivement après la chute du communisme mais ils ont désormais plus de formations par rapport aux années 90. « Dorénavant, on parle beaucoup plus de la dictature dans les programmes et je considère que c’est suffisant pour des enfants de cet âge. Ce sont des sujets lourds, très difficiles psychologiquement, donc ils n’ont pas besoin pour le moment d’avoir trop de détails », déclare-t-elle.

Peu, voire aucune mention du régime autoritaire dans certains manuels d’histoire

Pourtant, lorsque l’on se procure un manuel d’histoire du lycée, le chapitre consacré au régime communiste n’est que d’une trentaine de pages sur 182. Et le contenu mentionne sur une seule page seulement et très rapidement le culte de la personnalité et la propagande d’Enver Hoxha, l’homme à la tête du pays entre 1944 et 1985. Par contre, aucun élément concernant les atrocités commises durant le régime, les arrestations, la surveillance quotidienne et les exécutions. Mais on remarque une place plus importante pour les héros de l’histoire albanaise comme Musine Kokalari la fondatrice du parti social démocrate.

Ce manque d’éléments sur le régime autoritaire est confirmé par Bijanka, étudiante en licence de journalisme: « dans certains livres d’histoire scolaires, nous n’avons aucune mention et dans d’autres seulement des petits faits sur le régime communiste”. La transmission se fait donc à travers l’histoire familiale, explique-t-elle. “Mes parents m’ont expliqué ce qu’Enver Hoxha avait fait mais je ne l’ai pas appris à l’école, et je le regrette », raconte la native de Saranda dans le sud de l’Albanie.

Un long silence s’installe au moment où les élèves s’arrêtent dans l’une des pièces avec une très longue liste noire avec des inscriptions en blanc. Le guide prend la parole pour expliquer qu’il s’agit de la liste des personnes arrêtées et exécutées.

Aux alentours de 14h, la visite prend fin et le groupe prend la pose pour une photo devant la façade aux briques orangées et aux feuilles grimpantes du musée. Dorotea, l’adolescente de 14 ans, confie tout de même son optimiste malgré le manque d’éléments sur cette période clé, « même s’il n’y a pas toutes les informations, dans nos manuels d’histoire, ce sont les précisions ajoutées par nos enseignants qui apportent quelque chose », relativise la jeune fille.

Aïssata Soumaré.

Aissata

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *