A Tirana, l’association Alo!Milk travaille à l’intégration des enfants roms
Fondée par deux Français, l’association albanaise Alo!Mik vient en aide aux Roms qui vivaient dans le bidonville de la décharge de Tirana, la capitale de l’Albanie. L’ONG travaille avec eux sur le long terme pour soigner leurs traumatismes et les intégrer dans la société.
Jusqu’en 2020, 150 Roms vivaient toujours en situation d’extrême pauvreté dans un bidonville, sur une décharge en périphérie de la capitale albanaise, Tirana. Pour leur venir en aide, Sylvain et Ruth ont fondé l’association Alo!Mik en 2004. Ces deux Français sont arrivés en Albanie la même année. Rien ne les prédestinait à venir s’installer dans ce pays. Lorsqu’il était encore étudiant, Sylvain a aidé une association parisienne pour une mission en Albanie. “J’ai tout de suite été frappé par les besoins sur place.”
Avec sa compagne, il a travaillé à changer le destin de ces familles. Et vingt ans plus tard, leur engagement a payé. Toutes ont aujourd’hui un vrai foyer. “Plus aucune famille n’habite sur la décharge” affirme Sylvain, fier de ce qu’il a accompli avec son équipe. Ce programme de relogement a été financé par l’Union européenne. L’association a accompagné les familles dans les longues démarches administratives.
Les enfants des familles aidées au début des années 2000 sont dorénavant adultes. Sylvain et Ruth ont a cœur de continuer à travailler avec ces mêmes personnes.. “Il y a eu une phase d’alphabétisation de leurs parents. Et maintenant on a leurs enfants qui fréquentent le centre”, explique Sylvain.
Désormais, un bâtiment flambant neuf dans le quartier de Kombinat accueille en journée les 36 enfants de 5 à 18 ans aidés par l’association. Soutien scolaire, jeux et thérapies. “C’est une très grosse étape pour nous et pour la poursuite du travail”, souligne Sylvain. Dans ce nouvel endroit, les enfants peuvent se retrouver dans un environnement sécurisé, sain et accueillant.
Recréer du lien familial
“Dans la communauté Rom, les relations entre les parents et leurs enfants sont vraiment particulières”, souligne le créateur de Alo!Mik. Au début de son travail, Sylvain se souvient de ce que les familles lui disaient : “Nous on est même pas des chiens, parce que les chiens au moins s’occupent de leurs chiots. Mais nous on ne s’occupe pas de nos enfants”. Les parents eux-mêmes sont conscients que le lien avec leurs enfants a été brisé.
Victimes de négligence, de violences domestiques ou encore obligés à mendier ou à travailler, les enfants aidés par l’association ont vécu dans des conditions traumatisantes. Un point d’honneur est mis à s’occuper de leur santé mentale. Mais cette mission peut s’avérer ardue. “Même si on connaît en partie les enfants, on ne sait jamais quelle est vraiment l’origine de leur traumatisme.”
Guérir les traumatismes
Dans une salle à l’étage remplie de jouets, Dorella accueille chaque enfant du centre une fois par semaine pour une séance de thérapie de 45 minutes. “A la différence des adultes, les enfants ont des difficultés à exprimer ce qu’ils vivent avec des mots. Les jeux sont un moyen pour eux de s’exprimer”, assure la psychologue.
Dorella s’installe au fond de la pièce, sur une chaise. Elle laisse l’enfant jouer, sans interférer. “Je participerais seulement si l’enfant m’invite ”, précis-t-elle. L’objectif est de laisser l’enfant libre car ses choix en disent beaucoup. Ainsi, un enfant qui mime une famille autour d’une table peut vouloir signifier qu’il n’est pas nourri correctement chez lui. “De façon générale, ils prennent du recul sur leur récit, comme s’ils racontaient une histoire. C’est en fait un moyen de partager leur propre vie”, dit-elle.
Rendre autonomes les familles
Réinsérer cette trentaine de familles a été un véritable défi pour les deux Français. Dès leur arrivée à Tirana il y a vingt ans, le couple mis en place des projets pour accompagner les enfants. Pendant douze ans, le couple s’est rendu sur la décharge quotidiennement, d’abord en apportant des rations de nourriture, puis avec de l’aide administrative.
Pour que cette communauté Rom devienne autonome, l’association veut entrer dans une autre logique. « On a arrêté de leur donner des choses sans qu’ils soient eux-mêmes acteurs de leur changement. »
Une petite fille court dans les bras de Sylvain pour le saluer, les enfants ne manquent pas une occasion de rire avec les employés. Une relation de confiance est à présent créée. “Il faut établir une proximité”, confie Sylvain. Pour lui, les résultats interviennent après plusieurs dizaines d’années, en travaillant avec différentes générations au sein d’une même famille.
Au-delà de cette relation de proximité, le programme de relogement, financé par l’Union européenne, a été un tournant dans l’intégration des familles et des enfants dans la société. Payer leurs factures, tenir leur appartement propre, s’entendre avec le voisinage… Le cadre qu’offre la location d’un appartement leur donne des responsabilités, essentielles dans le processus d’intégration.
L’école, une priorité
Après le relogement, l’insertion des enfants est passée par leur inscription à l’école. Mais la réticence des parents a été un obstacle supplémentaire. “Ils nous disaient que si les enfants allaient à l’école, ils ne pourraient plus manger parce que les enfants travaillaient”, se souvient Sylvain.
Grâce à différents services mis en place comme un bus scolaire gratuit pendant les premières années, les parents ont finalement accepté de laisser leurs enfants à l’école. “Les enfants de la deuxième génération sont complètement intégrés à l’école”, souligne le fondateur de l’association. Quatre filles sont entrées au lycée à la rentrée, « c’est une première dans la communauté rom ».
Des familles pas tout à fait stabilisées
“L’enfant change beaucoup plus rapidement que l’adulte, il peut être un véritable acteur de changement pour toute sa famille”, souligne Sylvain avec beaucoup d’espoirs. L’association se concentre donc sur les enfants mais prévoit tout de même des activités pour recréer une proximité entre les enfants et leurs parents.
Une aire de jeux est également mise en place pour les mères et leurs enfants au centre. “Elles vont entrer dans un processus d’apprentissage du jeu car elles n’ont pas connu d’enfance donc elles ne conçoivent pas le concept de jouer”, explique Sylvain.
Malgré tout, la maltraitance et la négligence des enfants par certains parents sont encore une réalité. “Un petit quelque chose peut tout faire basculer” prévient Sylvain. Il évoque notamment avec émotion une petite fille du centre qui a perdu son frère de un an et demi à cause de la négligence des parents : il n’était pas nourri.
Même si les programmes de réinsertion sont un succès, avec notamment 90% des hommes qui ont un contrat de travail, l’association et les familles ne sont pas au bout de leurs peines. La prochaine étape pour assurer une stabilité au sein de la communauté est d’aider les femmes à trouver du travail.
Barbara GOUY