L’expansion fragile du tourisme vert

L’expansion fragile du tourisme vert

Depuis plusieurs années, le gouvernement albanais tente de miser sur une forme de tourisme plus élitiste pour mettre à profit ses paysages, mais surtout tenter de dynamiser ses campagnes victimes d’exode rural.

« Nous sommes aux prémices d’un formidable développement », exulte Vassilaq Nikolla, qui tient l’un des principaux hôtels de la petite ville de Përmet, au sud de l’Albanie. En cause, le développement de « l’écotourisme », ou tourisme vert, centré sur la découverte de la nature et du patrimoine. Profitant de cette promotion gouvernementale, la ville de Permët tente d’attirer à elle ces « écotouristes », avides d’authenticité et de nature vierge.

Faute de plages paradisiaques où attirer les plus de 10 millions de touristes venus visiter l’Albanie l’année dernière, la petite commune de 20.000 habitants mise sur la richesse de sa gastronomie locale et ses paysages de montagnes quasi-vierges. Une ambition qui s’affiche dès l’entrée de la ville, où l’on peut lire sur un panneau en grosses lettres : « Mis à part la mer, nous avons tout le reste ».

A proximité des montagnes, Përmet profite d’un cadre idyllique pour l’écotourisme.

Derrière cette promotion tapageuse, une association : ProPërmet. Lancée il y a une dizaine d’années par les principaux acteurs locaux, c’est elle qui s’affaire à promouvoir la ville et ses environs. Vassilaq Nikolla en est l’un des principaux fondateurs. Cet homme affable d’une soixantaine d’années, né à Përmet, a suivi des études en agronomie puis rédigé une thèse sur la valorisation du territoire, avant de travailler au ministère de l’Agriculture albanais.

A l’heure de la retraite, il est revenu s’occuper lui-même de son hôtel, ouvert il y a dix ans. Il témoigne de l’évolution rapide qu’a vécue la ville : « Il y a vingt ans, aucun touriste n’aurait jamais pensé venir ici. Mais ces dernières années, c’est une croissance exponentielle ». Et les chiffres l’attestent : en trois ans, le nombre de touristes a doublé, de 60.000 nous sommes passés à 120.000. Rien que cette année, plus de 120 gîtes ont ouvert. « Je suis persuadé que nous avons assez de ressources pour que cette croissance continue », affirme fièrement le maître d’hôtel.

Vasillaq Nikolla, fondateur de l’association ProPermet et figure de la ville dans son hôtel, ouvert il y a dix ans.

A quelques kilomètres de là, Altini Meshini, tient une fromagerie au bord de la principale route menant de Tirana à Përmet. Lui est moins enthousiaste. « Nos campagnes se vident à vue d’œil, parce que les jeunes partent et personne ne remplace nos anciens. J’ai déjà des difficultés à me fournir en lait ! », affirme le cinquantenaire, la mine grave. Il est lui aussi membre de l’association ProPermet, mais il prédit un avenir moins radieux : « Je crains qu’à terme, le nombre de touriste excède nos capacités à fournir suffisamment de produits locaux et de services de qualité… ».

Exemple parlant, à contre-courant du développement de Permët, le nombre de têtes de bétail dans la région a été divisé par cinq en dix ans. Le fromager reproche au gouvernement de ne miser que sur le tourisme, sans assumer le développement économique nécessaire pour les accueillir. « Les habitants de nos campagnes sont des gens encore très pauvres. La jeunesse part, les médecins aussi, les écoles ferment… Avec le tourisme, le gouvernement fait miroiter à l’étranger une Albanie virtuelle », accuse-t-il.

Il a également profité de l’explosion du tourisme dans la région : « lorsque j’ai repris l’exploitation de mon père, je ne disposais que d’une petite surface de 25 mètres carrés. Maintenant, l’entreprise a quadruplé de taille ». Meilleurs espaces de stockage, un large espace pour accueillir les visiteurs et proposer des ateliers dégustations, la fromagerie est en plein développement. Un chiffre d’affaire confortable qu’il sait être lié à l’essor du tourisme : « j’ai beau vendre mes produits à la fois aux locaux et aux touristes, sans ces derniers, je n’aurais pas pu continuer d’exercer ma profession ».

Idéalement située pour les touristes de passage, la fromagerie d’Altini Meshini propose en plus de ses fromages des spécialités de la région comme les fruits confits.

Un développement lucratif dû au tourisme, mais pas que. En 2017, pour ne pas faire faillite et faute d’aides gouvernementales existantes, il a fait appel aux subventions européennes. Éligible au programme d’aide pour le développement de l’Albanie proposé à par l’Union européenne aux pays des Balkans, il a bénéficié de 50.000 euros sans contrepartie pour acquérir le matériel agricole adéquat.

Mais cette solution de ne dépendre que des aides européennes pour soutenir le développement rural a révélé ses faiblesses l’année dernière. A cause de sérieux soupçons de corruption à l’encontre du ministère de l’Agriculture albanais, la Commission européenne a suspendu son programme d’assistance. Un revers judiciaire révélateur de la fragilité économique sur lequel le développement du pays repose, malgré un tourisme en pleine expansion. «Il n’est pas possible de tout miser sur tourisme sans s’attaquer aux problèmes concrets du pays », conclut Altin. Pour s’assurer un avenir prospère, l’Albanie devra compter sur le tourisme, mais pas que.

Jules Bois

Jules

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