Un rugby albanais naissant en quête de moyens
Livré à lui-même depuis son apparition dans le pays, le rugby tente de se faire une place dans la mêlée en Albanie. Au prix de nombreux sacrifices qui commencent à porter leurs fruits, dans un pays qui ne compte pas un seul vrai terrain de rugby.
Dans le calme du parc de Tirana, quelques cris d’enfants retentissent. En ce jeudi midi, ils sont une quarantaine – avec légèrement plus de filles que de garçons – à découvrir le rugby sur un terrain mis à disposition par la municipalité. “C’est le seul endroit de la ville où on trouve des perches de rugby”, explique Xhino Drangu, président de la Fédération albanaise de rugby. Les perches côtoient des cages de football, sur un terrain multisport. Cet aménagement reste un luxe en Albanie, pays qui ne compte aucun vrai terrain de rugby sur son territoire.
L’entraînement “découverte”, constitué de courses et d’exercices ludiques, est encadré par les joueurs du Tirana Rugby Club, premier club de rugby albanais créé en 2013. “À l’époque, le terrain était fait de graviers et de cailloux. Et surtout, il n’y avait pas les perches”, se souvient Orion Jujca, au club depuis 2015. Le terrain a été rénové il y a six ans pour y mettre de l’herbe et ajouter des poteaux de rugby, à ce qui reste avant tout un terrain de football. Il accueille tous les ans cet évènement, où des enfants s’essayent au rugby pendant un peu plus d’une heure. “Mais c’est la seule fois où on peut utiliser le terrain, même s’il est censé être dédié au rugby”, déplore Xhino Drangu, également président du Tirana Rugby Club.
Percée solitaire
Pour ses entraînements, le club, pionnier dans le développement du rugby en Albanie, doit se contenter d’un terrain de football à côté d’une école. Pour son équipe de jeunes – ceux qui ont moins de 18 ans, et celle des adultes. “On est habitué à se débrouiller comme on peut”, ressasse Xhino Drangu. Depuis onze ans, le club et la fédération composent sans aide de l’Etat ou de la municipalité. “Les gens ont encore peur du rugby, ils considèrent ce sport comme trop violent”, constate-t-il. Un paradoxe dans un pays où les sports de combat, comme la boxe ou le MMA, sont assez développés.
Pour tenter de changer les mentalités, le Tirana Rugby Club fait son possible pour rendre le rugby accessible à tous. “Personne ne paye pour participer aux entraînements, explique Xhino Drangu. On fournit les maillots et les équipements, et on propose même d’amener et raccompagner les jeunes pour les entraînements.” Celui qui est avocat en parallèle de ses activités rugbystiques donne beaucoup de temps et de moyens pour développer le rugby dans le pays. “S’il y a des frais à avancer, ça sort de notre poche”, confirment Xhino Drangu et Orion Jujca, qui peuvent tout de même compter sur le soutien d’un sponsor, Volkswagen Albanie, depuis l’année dernière.
Un rugby à deux têtes
Pour avancer et se développer, le rugby albanais s’est transformé en véritable caméléon. Créé comme une équipe de rugby à XV – le rugby union, la forme la plus connue en France, le Tirana Rugby Club a muté vers le rugby à XIII – le rugby league – il y a quelques années. “Les règles sont plus simples à comprendre, pour les joueurs et pour le public”, justifie Xhino Drangu, en précisant que des matchs de rugby union étaient toujours joués. “On veut juste jouer au rugby, qu’importe la forme”, étaye Orion Jujca, pharmacien le jour et spécialiste de la touche sur le terrain.
Cette dualité a permis de multiplier les possibilités de matchs pour les albanais, dans un pays où le Tirana Rugby Club est la seule vraie équipe existante. “On joue contre des clubs d’autres pays, et depuis peu contre nos voisins avec l’équipe nationale”, illustre Xhino Drangu.
Ainsi, le Tirana Rugby Club a affronté des clubs kosovars, monténégrins, grecs et britanniques ces dernières années. En novembre dernier, l’équipe nationale a disputé un match de rugby à XIII contre les Pays-Bas. Et plus récemment un match de rugby à XV contre le Kosovo, le premier match officiel de l’Albanie reconnu par la fédération internationale. Dans les prochains mois, l’Albanie va jouer un nouveau match officiel contre le Monténégro, dans un stade – de football – de 16 000 places à Shkodër : un symbole des avancées faites par le rugby dans le pays.
Les Jeux olympiques en ligne de mire
Et les choses pourraient avancer encore plus vite dans les années à venir, avec une nouvelle transition. “Notre but maintenant, c’est de s’orienter vers le rugby à 7”, détaille Xhino Drangu. Sport olympique depuis 2016, il permet à la Fédération albanaise de rugby d’attirer l’attention du Comité olympique national. “Avant qu’on songe à se lancer dans le rugby à 7, personne ne s’intéressait à nous”, ironise-t-il.
Très puissant dans le pays, le Comité olympique albanais se montre “très engagé” dans le développement du rugby, selon Xhino Drangu. Et ouvre de nouvelles perspectives. “On a soumis un plan pour implémenter la pratique du rugby dans les écoles, qui devrait être introduit à la rentrée 2024”, développe Xhino Drangu. Une avancée qui serait majeure, et qui pousse le président de la Fédération albanaise de rugby à rêver. “On pourrait participer aux Jeux olympiques dans un futur proche”, avance-t-il. Pour ceux de Paris en 2024, il est déjà trop tard ; pour ceux de Los Angeles en 2028, l’Albanie veut y croire.