La qualification de l’Albanie pour l’Euro 2024 : la vitrine d’un football à deux vitesses

La qualification de l’Albanie pour l’Euro 2024 : la vitrine d’un football à deux vitesses

Nouvelles infrastructures, résultats sportifs… En novembre 2023, Sylvinho, ancien entraîneur de Lyon, est parvenu à qualifier l’Albanie pour l’Euro de football, huit ans après la première fois. La vitrine d’un football qui fonctionne pourtant en deux vitesses.

Attention : le visiteur qui rentre dans le musée d’histoire de Tirana en ce mois de février peut être surpris. Dans les premières salles, aucune trace du héros national, le militaire Skanderbeg. Pas non plus d’aigles à deux têtes ou de photographies de Mère Teresa. A la place, des maillots des footballeurs et des chaussures à crampons. Ce jeudi 1er février, le musée d’histoire s’apprête à rendre hommage à une légende du football italien décédée en 2020 : Paolo Rossi.

Cette exposition démontre la popularité de ce sport, en Albanie. Le pays rêve de voir ses clubs et son équipe nationale rivaliser avec les plus grands dans les compétitions internationales. “Pourquoi une exposition sur un footballeur italien ? Pourquoi pas sur le football albanais ? Il y aurait beaucoup à écrire”, rêve à voix haute Ervin Baku, journaliste sportif.

Pour l’inauguration, aujourd’hui, un des plus grands entraîneurs de l’histoire du football italien, Arrigo Sacchi, est présent, aux côtés du premier ministre albanais Edi Rama. “Paolo Rossi est une idole pour tous les Albanais. Les années 1980 étaient difficiles ici… Il nous faisait rêver”, explique Fatjon Kodra, directeur des relations publiques à la FSHF, la Fédération albanaise de football, instigatrice de l’exposition.

A la fin du parcours, deux petites bannières suspendues et des maillots des “Shqiptarët” – les “Albanais”. Les pancartes relatent les grandes heures du football local.

“Notre objectif ? Une qualification coupe du monde

Fatjon Kodra, directeur des relations publiques à la FSHF, la fédération albanaise de football.
Armand Duka, président de la Fédération albanaise de football, au musée d’histoire de Tirana

L’histoire récente du football albanais, en effet, est faste. En novembre, l’équipe nationale albanaise s’est qualifiée pour la deuxième fois à l’Euro de football, après avoir participé à la compétition européenne en 2016. Depuis 2019, un stade flambant neuf est sorti de terre. Il a accueilli la première finale de la troisième compétition européenne, la Conférence League… Le foot albanais a déjà franchi quelques étapes importantes ces dernières années. Et il veut maintenant aller plus loin: “Notre objectif ? Une qualification pour une Coupe du monde”, clame sans sourciller Fatjon Kodra. Le palmarès récent de l’Albanie fait de de la sélection un des bons élèves de l’UEFA et de la FIFA, les institutions qui gèrent respectivement le football européen et mondial.

” Il faut d’abord miser sur l’éducation et les infrastructures”

A une grosse demi-heure à pied du musée d’histoire nationale, après avoir traversé le vieux stade Selman Stërmasi, antre aujourd’hui aussi vétuste que l’ancienne maison du dictateur Enver Hoxha, le complexe sportif de la fédération albanaise, impressionne. Un stade flambant neuf, des salles de sports et terrains en intérieurs en parfait état. Quelques 70 personnes travaillent dans cette “Maison du football” inaugurée en 2022. A l’intérieur, Andi Zerë, directeur technique de la fédération, travaille dans un open space qui n’a rien à envier aux bureaux du quartier de la Défense.

La FSHF a encore un an pour voir les bienfaits de sa stratégie sur trois ans “Football for the Nation” (Football pour le pays). Un document PDF de 80 pages, écrit en anglais, qui vise à développer le football albanais. Les chiffres affluent : d’ici à 2025, la fédération prévoit d’avoir 23 000 licenciés (soit 2000 de plus), de construire 100 nouveaux terrains, de doubler le nombre de coachs formés. “L’idée est d’emmener l’ensemble de la société albanaise autour du football, raconte Andi Zerë, et de ne pas se contenter de travailler avec les clubs professionnels. Et pour cela, il faut d’abord miser sur l’éducation et les infrastructures”.

La “maison du football” de Tirana, siège de la fédération albanaise de football, a été inaugurée en 2022

“L’UEFA nous aide beaucoup. C’est un travail effectué main dans la main avec eux et le gouvernement”, complète Fatjon Kodra. Le joyau ? Le Air Albania stadium et ses 22 500 places, construit dans un quartier moderne. En rouge et noir, il est aussi paré pour accueillir des concerts. Une tour de 24 étages surplombe les boutiques.

Chaque club professionnel est désormais forcé d’avoir au moins une équipe dans chaque catégorie de jeunes. La fédération finance les équipements. Quatre stades sont désormais homologués pour accueillir des compétitions européennes, comme le futur championnat d’Europe des moins de 17 ans en 2025. Il s’agira de la première compétition internationale organisée en Albanie. “C’est possiblement la plus belle période de notre histoire”, résume Fatjon Kodra.

“N’oublions pas d’où nous partons. En 2011, aucun stade n’était homologué. Et voir ce travail récompensé par une qualification pour l’Euro, ce qui a réjoui beaucoup d’Albanais”, relate Ervin Baku, un des journalistes sportifs les plus connus d’Albanie. “L’Albanie aujourd’hui a largement dépassé un pays comme la République Tchèque”, estime-t-il. Si bien que Manchester City, le dernier vainqueur de la Ligue des champions, a prévu d’implanter un centre de formation dans la ville de Durrës, sur la côte du pays.

Ervin Baku, journaliste sportif albanais

Euro U17, grandes tours et gros sous

Depuis 33 ans, Ervin Baku arpente les stades albanais, croix autour du cou. Il est familier des prises de position tonitruantes à la télévision ou à la radio de Tirana. Autant dire que les terrains de Superliga, la première division du pays, n’ont plus de secret pour lui. Il avertit : “Notre football reste encore à deux vitesses. D’un côté, l’équipe nationale brille par ses résultats. Elle a obtenu sa qualification pour l’Euro en jouant très bien, alors que personne n’y croyait au départ. Mais aucun joueur de l’équipe nationale ne joue dans la Superliga”. Car voici l’autre point : “Le championnat est encore très mauvais. Et personne ne va au stade, à part pour cinq matchs dans la saison”, raconte le journaliste.

Les joueurs, eux, voient ce championnat comme un “tremplin”. Ivan Djantou, jeune camerounais de 21 ans, a débarqué en automne dans le championnat albanais. Mais il ne compte pas s’éterniser. “ On rêve tous d’accéder à un championnat avec un meilleur niveau. En plus, le championnat est très suivi par des agents”, raconte l’attaquant du KF Skënderbeu Korçë, club qui s’est qualifié à deux reprises pour les phases de groupe de la Ligue Europa, la deuxième compétition européenne.

Ulysse Llamas

Ulysse

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