Face au projet d’aéroport de Vlora, la colère des associations environnementales
La lagune de Narta, sur le littoral albanais, abrite une faune riche et bénéficie du statut de “zone protégée”. Mais depuis 2021, un aéroport est en construction à quelques kilomètres de là. En réaction, associations environnementales locales et institutions européennes s’élèvent contre le projet.
Seuls les cris lointains d’une centaine de flamants roses et de quelques pélicans percent le silence de cathédrale de la lagune de Narta, au centre du littoral albanais. Pas d’habitations proches, peu de passage, des marécages spongieux, la mer et un ciel dégagé, la lagune est considérée par les spécialistes comme un paradis ornithologique. « C’est comme une autoroute pour les oiseaux », s’amuse l’ornithologue Zydjon Vorpsi, des jumelles autour du cou.
« La lagune de Narta se situe sur une route migratoire pour les oiseaux, la voie adriatique qui connecte l’Afrique avec l’Europe du nord. Certains oiseaux passent juste par-là, d’autres s’y reposent, s’y nourrissent et s’y reproduisent », détaille le spécialiste. En moyenne, 20.000 oiseaux passent l’hiver chaque année dans la région de Narta-Vjosa, qui a le statut de zone protégée depuis 2004.
Mais à quelques kilomètres de là, s’élèvent des grillages couronnés de barbelés qui entourent une large zone de travaux. « C’est la plus grande menace à laquelle fait face la nature albanaise depuis 30 ans », alerte Zydjon Vorpsi. Sur la plage du lagon de Kallenga, non loin de Narta, cet ornithologue montre dans le ciel la route que prendront bientôt les avions arrivant à l’aéroport de Vlora, en construction depuis 2021.
Le projet est porté par le premier ministre Edi Rama depuis 2018. L’objectif est de créer un troisième aéroport international en Albanie et stimuler ainsi le tourisme sur son littoral. Le maire de Vlora projette que l’aéroport pourrait permettre la création de 2000 emplois. Il faut dire que le secteur du tourisme est en plein boom dans ce pays des Balkans, avec plus de 10 millions de visiteurs en 2023, le double par rapport à 2018. Une aubaine pour un des pays les plus pauvres d’Europe.
Un aéroport en pleine route migratoire
Malgré ces avantages, l’association de protection et de préservation de l’environnement naturel d’Albanie (PPNEA), dont fait partie Zydjon Vorpsi, se bat fermement contre le projet. En effet, l’aéroport menace la lagune et les oiseaux qui y trouvent refuge. « L’aéroport va perturber la route migratoire des oiseaux. En plus, il se situe pile entre deux des plus grands marécages du pays, et de nombreuses espèces font sans cesse des allers-retours entre les deux pour se nourrir, se reposer et se reproduire », déplore Vorpsi. Le bruit et la pollution auront aussi de fortes conséquences sur l’écosystème. « Et ça, ce n’est que ce que l’on peut prédire ! », lance-t-il.
Au niveau de la population, difficile de savoir si la lutte contre l’aéroport trouve un écho. « Le village le plus proche de la lagune a été créé dans les années 70, les gens n’ont pas vraiment un sentiment de connexion à la nature environnante », analyse l’ornithologue. Lors des manifestations organisées par l’association, sur site ou devant des institutions politiques, une centaine de personnes font le déplacement.
En juillet dernier, la sortie d’un documentaire intitulé « Stop the airport » a fait salle comble dans une salle de cinéma de Tirana. « 300 personnes sont venues ce jour-là », se remémore Vorpsi, des étoiles dans les yeux. Parmi les spectateurs, des représentants d’ambassades européennes, signe que le projet mobilise à l’international.
La portée internationale de la contestation
De fait, la PPNEA n’est pas le seul acteur à avoir le projet de construction dans le viseur. A l’échelle européenne aussi, le projet dérange. Le comité de la convention de Berne (relative à la conservation de l’environnement en Europe) a épinglé le gouvernement albanais à ce sujet. En effet, la zone de construction se situe au beau milieu de la zone Narta-Vjosa, protégée depuis 2004. Aussi, le gouvernement a du retirer le périmètre de construction de l’aéroport de la zone protégée pour pouvoir obtenir un permis de construire, 15 mois après le début des travaux selon PPNEA. « Imaginez, maintenant c’est une zone protégée avec un grand trou au milieu. Écologiquement, ça n’a aucun sens », se désole Vorpsi.
En 2023, l’organisation européenne a demandé au gouvernement albanais de suspendre les travaux, sans suite. Les autorités prévoient les premiers vols en mars 2025. Mais à part la route menant au site de construction qui a été fraîchement bétonisée, seul le tarmac semble avoir avancé. Quand il s’agit de savoir si la pression de la convention de Berne pourrait contrevenir aux velléités de l’Albanie d’intégrer l’Union européenne, Zydjon Vorpsi fait la moue : « Je crois que le gouvernement s’en fiche ».
Une lutte qui s’inscrit dans la durée
A ce jour, la PPNEA a deux procès en cours contre le projet d’aéroport : l’un contre la construction en elle-même, l’autre contre la redéfinition par le gouvernement de la zone protégée. « En première instance, la cour nous a estimés ‘non-légitimes’. Elle a jugé que nous n’étions pas affectés par la construction en tant qu’association. Ils espéraient peut-être que les pélicans viennent eux-mêmes prendre la parole », ironise Vorpsi. Le spécialiste des oiseaux est pourtant relativement confiant à propos de l’évolution des procédures judiciaires.
Mais l’aéroport n’est que le début des ennuis pour eux. “Ils veulent transformer toute la région“, explique-t-il. Et de fait, dans la presse, le maire de Vlora abonde en ce sens, en parlant notamment d’investissements à venir dans le secteur hôtelier. Comme ailleurs sur la côte où la bétonisation remplace déjà un littoral jadis sauvage.
Le 15 février prochain, l’assemblée votera un changement à la loi sur les zones protégées. “Si les amendements sont adoptés, le Conseil national du territoire pourra décider d’implanter n’importe quelle infrastructure dans les zones protégées“, s’inquiète Vorpsi. PPNEA tente d’empêcher le projet de loi arriver au Parlement. “Ce qu’on espère ?“, s’interroge Vorpsi. “C’est arrêter la construction de l’aéroport. On pense que c’est encore possible“, conclut-il, le regard fixé sur une nuée de cormorans.
Nikita Guerrieri