La production d’agrumes albanais à l’épreuve du changement climatique
Les agrumes font partie des seuls fruits exportés par l’Albanie. La filière est même devenue un véritable moteur économique dans la région de Sarandë, au sud du pays, qui concentre les plantations. Mais les professionnels s’inquiètent des conséquences du changement climatique sur leur production.
« Avec les fortes grêles de cet été, 40 à 50% de notre production annuelle de mandarines a été endommagée, raconte Arian Cerro, dont le cousin est à la tête de la ferme Cerro, située dans le village albanais de Mursi, au sud de l’Albanie à quelques kilomètres de la frontière grecque. Les grêlons faisaient la taille d’une balle de golf! » Pour la ferme Cerro, qui existe depuis 2012, ces pertes sont loin d’être sans conséquences. « Il n’existe pas d’aides gouvernementales dans ce genre de cas. Ce n’est pas comme en Grèce, en France ou ailleurs, nous n’avons eu le droit à rien. »
Cette année, la ferme a gagné 5 millions de lek (soit environ 48.000€), « ce n’est pas suffisant pour bien vivre » estime Arian Cerro. Le cas de la ferme Cerro est loin d’être isolé. Dans la région de Sarandë, dans le sud de l’Albanie, à quelques kilomètres de la frontière grecque, plusieurs exploitations ont ainsi été touchées par les intempéries, de plus en plus fréquentes et impressionnantes.
Un secteur agricole compétitif
Ces aléas mettent à mal un secteur qui est pourtant en pleine expansion, particulièrement depuis la multiplication du nombre d’exploitations spécialisées dans les agrumes entre 2000 et 2010. Ces dernières années, l’Albanie a même vu sa production augmenter considérablement: en 2022, elle a encore bondi de 7% par rapport à l’année précédente.
Un phénomène qui s’explique par la particularité du produit cultivé: « Les agrumes présentent plusieurs avantages pour les cultivateurs, détaille Endrit Kullaj directeur du département d’horticulture et de paysagisme à l’université Agricole de Tirana et spécialiste de la production d’agrumes, d’abord, ce sont les seuls fruits que l’on exporte en Albanie, contrairement aux pommes dont la production est pourtant largement supérieure par exemple. Et, par rapport à certaines cultures, les agrumes ne demandent pas de grosses surfaces. La production d’agrumes est donc assez compétitive.»
Les échanges avec l’UE au cœur des préoccupations
Mais la crise climatique vient amoindrir ces avantages, d’autant plus que la filière doit faire face à la chute des prix de leur marchandise, explique Arian Cerro. « D’abord le prix d’achat pour un kilo de mandarine a presque été divisé par deux entre 2015 et aujourd’hui. Puis, le changement climatique endommage de plus en plus nos productions, apporte de nouvelles maladies aux arbres fruitiers que nous devons traiter. Mais pour ça, il nous faut des insecticides et, si l’on veut continuer à exporter nos mandarines vers l’Union européenne (UE), il faut que l’ils soient aux normes européennes. » L’enjeu est de taille pour ces petits agriculteurs puisque l’UE a triplé ses importations de mandarines albanaises entre 2021 et 2023, passant de 3,253 à 9,443 tonnes.
Pour le professeur Endrit Kullaj, cela ne fait aucun doute, les productions d’agrumes déjà considérées comme vulnérables face aux intempéries « sont très à risque, et les conséquences du changement climatique sont déjà visibles. Il est plus que temps de les prendre en compte. » Cela ne peut passer, selon lui, que par la mise en place « d’aides gouvernementales pour aider les agriculteurs à acheter des filets de protection à installer sur les arbres fruitiers » ou « d’assurances pour que les agriculteurs puissent faire face aux pertes ». Un système « qui n’existe pas encore ici, en Albanie. »
Arian Cerro essaie quant à lui d’être optimiste. « Mon cousin serait heureux de gagner au moins 6 millions de lek (soit 58.000€) cette année » pour essayer de compenser les pertes de l’année précédente, révèle-t-il. Mais il connaît d’autres producteurs qui ont décidé d’arrêter les agrumes, « surtout depuis deux ans », que ce soit pour « faire la plonge dans un restaurant » ou encore changer de produit à cultiver. Mais alors que les agrumes avaient redynamisé ces dernières années l’agriculture de cette région du sud – la seule avec des conditions propice à la culture des agrumes) un autre défi, de taille, demeure : réussir à « attirer les jeunes, là où les cultivateurs de la région ont en moyenne 50 ans», dans un milieu qui devient plus difficile er alors qu’ils « peuvent toucher de meilleurs salaires en Grèce ».