Immigrer en France, le chemin de croix des Albanais

Immigrer en France, le chemin de croix des Albanais

Ils ont quitté leur pays, parfois au péril de leur vie, pour espérer des jours meilleurs en France. Témoignages croisés d’exilés albanais et des bénévoles qui les accompagnent.

« Déjà, six ans ». C’est avec le sourire aux lèvres et une forte émotion dans la voix, que Charlène Cosperec se remémore l’arrivée d’une famille albanaise au printemps 2017, à Arzal, dans l’ouest de la France. Un père, sa femme et leurs deux filles en bas âge. « Nous habitons une petite ville d’environ 1.500 à 2.000 habitants », détaille celle qui est aussi l’infirmière de la commune avant de devenir « logiquement » bénévole.

« On a appris que des réfugiés albanais étaient à Vannes, à une trentaine de kilomètres d’ici. Ils ont atterri à Arzal un peu par hasard. Ils n’avaient rien. » « J’ai reçu un coup de téléphone, on m’a dit qu’ils n’avaient aucun hébergement possible », poursuit avec énergie Christiane Bascou, une autre bénévole. « Ils venaient de passer une semaine dans la rue. Les jours précédents, ils dormaient dans la salle d’attente de l’hôpital », s’émeut cette professeure à la retraite. Face à l’urgence de la situation, elle se propose d’héberger la petite famille dans sa « grande maison devenue vide depuis le départ des enfants ».

Pendant trois semaines, elle partage le quotidien d’un père « traumatisé », d’une mère et de ses deux filles « continuellement en pleurs ». Sans formulaire de demande d’asile, toute autre démarche est impossible ; le précieux sésame n’arrivera que deux mois plus tard. Entretemps, Charlène soigne le père de famille ; menacé par la mafia qui voulait prendre possession de sa maison, le quadragénaire a été éventré, lardé de coups de couteaux. Depuis, il reste cloîtré chez lui, se sentant « menacé par tout ». Les enfants, quant à eux, vont à l’école privée du coin, et finiront par y dormir avec leur famille, pour passer l’été.

« Le parcours du combattant »

À la rentrée, partout dans la commune, une douzaine de bénévoles se relaient, hébergent la famille à tour de rôle chaque semaine, les emmènent à Vannes pour effectuer les procédures administratives. « C’est – c’était – le parcours du combattant », rit jaune Christiane. « Les parents parlaient italien, un peu d’allemand mais presque pas d’anglais. On s’est débrouillés pour les traductions, pour remplir les dossiers », égrène-t-elle.

Rapidement, le collectif d’habitants fonde l’association Solidarité Arzalaise, pour venir en aide durablement à la famille, mais aussi afin de garantir une structure d’accueil dans la région à d’autres réfugiés. Côté paperasse, c’est un peu « le serpent qui se mord la queue », explique Charlène, consternée. Et de résumer : « Pour avoir l’autorisation de territoire, il faut avoir un travail. Mais pour avoir un travail, il faut des papiers ». Avec le spectre d’une obligation de quitter le territoire français si la régularisation n’est pas faite à temps.

À Arzal, tous ont entendu parler de cette autre famille albanaise de Vannes, forcée de revenir dans les Balkans faute d’avoir pu faire pu faire renouveler son autorisation de séjour à temps. « Je trouve ça hyper dur », lâche Charlène avec dépit. « De voir des gens qui veulent s’intégrer ici et qui font tout pour. Pour n’être finalement pas reconnus». Un problème récurrent, que déplorent à l’unanimité les associations qui viennent en aide aux réfugiés et demandeurs d’asile albanais.

Plus au nord, dans la région de Rouen, Christine, bénévole depuis sept ans à l’antenne normande de Welcome, s’occupe de deux familles albanaises. « Elles demandaient l’asile pour des problèmes dans leur pays », confie-t-elle, pudiquement. Les demandes ont été déboutées. « Quand on dépose une demande d’asile, on raconte son histoire », détaille Christine, presque mécaniquement. « Pourquoi avez-vous fui votre pays, pourquoi votre vie est-elle en danger? Et surtout, pourquoi vous ne pouvez pas revenir là-bas. » Les mots sont pesés, calibrés – il ne faut pas que les réfugiés puissent être identifiés. Question de sécurité. « Par la suite, on peut passer à la cour nationale du droit d’asile, où l’on est défendu par un avocat », continue la bénévole. « Il faut essayer d’apporter des preuves. Souvent, ce sont des histoires assez violentes qui n’ont pas pu être réglées en Albanie. Vous savez, quand la justice ne rend pas forcément justice et quand les protections policières dépendent d’influences… »

Une intégration difficile

Ce motif ne fait pas partie de ceux retenus par la Convention de Genève pour accorder le droit d’asile. En conséquence, la plupart des demandes sont déboutées. « C’est assez rare qu’elles soient acceptées », confirme Christine, à regret. « L’Albanie n’est pas un pays en guerre. C’est difficile. » La France, pourtant, enregistrait en 2016 le plus grand nombre de demandes d’asile en provenance d’Albanie – 7 432 dossiers. En 2022, à l’échelle de l’Union européenne, 13.100 demandes d’asile avaient été formulées. Aujourd’hui, les associations constatent un recul des demandes en provenance d’Albanie et laissent la place aux réfugiés majoritairement Ukrainiens ou d’Afrique du Nord.  « Il y a aussi un besoin de soins médicaux, qui ne peuvent pas être prodigués dans leur pays d’origine », complète la bénévole de Welcome.

Dans le cas de Lula, son motif d’exil s’explique par la guerre. Celle entre la Serbie et le Kosovo, qui a poussé la famille de cette albanaise née dans la capitale kosovare à rejoindre la Macédoine à pied, le pays « le plus sécurisé et le plus proche », avant de s’envoler vers la France, épaulée par la Croix-Rouge. Avec calme, la jeune femme, bientôt trentenaire, se remémore l’histoire de sa famille. « Il y avait mes parents, mes quatre frères et sœurs. La plus âgée n’avait pas huit ans. On a eu le droit d’asile, puis on a été naturalisé, après dix ans d’existence en France », précise-t-elle.

« L’intégration a été très difficile. J’ai tout le temps été amenée à expliquer les raisons pour lesquelles je suis en France, j’ai beaucoup vécu de racisme aussi. Par rapport à mon prénom, mon apparence. En classe, je me souviens d’un garçon qui insultait les Albanais, tout le temps, sans raison », poursuit-elle avec émotion.

Maintenir un lien

Chez elle, Lula parle albanais. « J’essaye aussi de retourner dans les Balkans pour me ressourcer. En revanche, je ne connais aucune autre fille en France d’origine albanaise », regrette-t-elle. « Il y a beaucoup de préjugés, je ne sais pas vraiment pourquoi. Par rapport à la religion, à l’histoire… l’image est assez péjorative. » Au point d’envisager retourner vivre en Albanie ou au Kosovo. « J’y pense encore, à m’y installer pour quelques années », réfléchit-elle.

À Arzal, la petite famille tente elle aussi de garder un lien, coûte que coûte avec son pays. « Ils s’appellent très souvent en visio avec leurs proches restés là-bas », confirme Charlène Cosperec. L’infirmière rend visite à ses voisins deux fois par jour ; au fil du temps, des liens « d’amitié » se sont tissés avec la mère albanaise, de deux ans son aînée. « Elle a pu retourner en vacances en septembre dernier avec sa plus grande fille en Albanie », se réjouit-elle.

Le père de famille, en revanche, ne veut « plus du tout » prendre le risque d’y retourner. Pour l’heure, les quatre membres bénéficient d’un titre de séjour provisoire, d’une durée de trois ans. La victoire administrative est fragile, mais la solidarité des habitants, sans faille. Une même « chaleur humaine » qu’espère retrouver Lula : « J’essaye d’organiser des soirées entre franco-albanais, mais pour l’instant, ça ne mord pas », s’amuse-t-elle. Sans perdre espoir d’ajouter une touche albanaise à son quotidien français.

Lise Tavelet

Lise

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *