Pourquoi l’Albanie ne parvient pas à exporter son huile d’olive
Malgré un boom de la production d’olives en 2022 et une ouverture partielle au marché international, l’Albanie ne parvient toujours pas à s’ériger en pays exportateur d’huile d’olive en Europe.
Niché entre les villes d’Elbasan et de Berat, à Belsh, l’exploitation d’olives de Gëzim Paja fête son vingtième anniversaire cette année. Il y a treize ans, le complexe d’agrotourisme s’est doté de sa propre usine d’huile d’olive et produit désormais jusqu’à 200 tonnes d’huile par an. Période d’abondance exceptionnelle pour les oliveraies albanaise, la saison 2022/2023 a été l’occasion pour le propriétaire de s’essayer à l’exportation en s’associant avec une entreprise grecque.
“Auparavant, dans la région de Belsh, il n’y avait pas de production suffisante pour l’exportation“, explique Gëzim Paja. Embouteillée dans un élégant contenant en verre, son huile d’olive extra-vierge s’envole désormais vers l’Italie, la Grèce mais aussi les États-Unis et le Canada, où les bouteilles d'”or vert” sont étiquetées en provenance de Grèce. Avec 40 tonnes d’huile exportées l’année dernière, Gëzim Paja fait figure d’exception en Albanie. Si les oliviers tapissent les paysages de l’ouest du pays, leurs fruits peinent à sortir des frontières du marché national.
L’explosion de la production d’olives
Dans les hauteurs de Berat, la “ville aux mille fenêtres”, Fitim Zaimi tient son exploitation depuis 1994. Aux côtés de ses quatre employés permanents, l’oléiculteur produit entre 120 et 200 tonnes d’olives par an. Mais pour le sexagénaire l’exportation reste un horizon encore lointain. “Je devais conclure un contrat avec l’Italie mais à cause des problèmes de transports, d’emballages et l’irrégularité des rendements, il n’a jamais abouti“, confie-t-il. Si la ville de Berat est le premier producteur d’olives du pays, Fitim Zaimi, comme la majorité des oléiculteurs, réserve exclusivement sa marchandise au commerce national.
Avec des rendements exceptionnellement élevés en 2023, l’Albanie a quadruplé ses exportations cette année-là, passant de 326 tonnes d’huile exportées en 2022 à 1.400 tonnes, selon le ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Un développement à l’international facilité par l’effondrement de la production de l’Espagne et de l’Italie, leaders mondiaux, après une sécheresse dévastatrice au printemps 2022. En dépit d’une conjoncture favorable, moins de 5% de la production nationale a toutefois franchi les frontières de l’Albanie. En l’absence d’un système de production agricole sophistiqué, le marché mondial reste encore inaccessible à l’écrasante majorité des agriculteurs albanais. Et ce, malgré la hausse lente mais constante du marché oléicole du pays.
Le difficile tournant de l’exportation
Contenue dans des bidons en plastique usagés, l’huile d’olive se vend principalement dans les petites épiceries de quartier de Berat. Une pratique répandue en Albanie, où seule 10% de l’huile d’olive est commercialisée sur les étals d’un supermarché. Le reste de la production s’écoule de façon informelle directement auprès des producteurs. Représentant des coûts supplémentaires pour les oléiculteurs, l’emballage et l’étiquetage de l’huile d’olive sont souvent laissés de côté. La qualité du produit se trouve en outre fortement dégradée par la négligence de la chaîne de production, comme le relate un rapport de 2018 du ministère de l’Agriculture et du Développement rural : “Les olives sont transportées vers les usines de transformation principalement dans des sacs en plastique (74%) et des boîtes en plastique (22 %). La forte proportion de sacs en plastique usagés, en plus du délai entre la récolte et la transformation (plus de 48h en moyenne), peut être considérée comme un obstacle important à la production d’une huile de bonne qualité.” En l’état, cette absence de normes hygiéniques freine lourdement les capacités d’exportation du pays.
Au problème de qualité s’ajoute celui de la quantité comme l’explique un employé de la chambre d’Agriculture de Berat : “Les agriculteurs possèdent de toutes petites parcelles éparpillées sur le territoire, ce qui n’est pas du tout propice à produire les grandes quantités nécessaires à l’exportation“. Tandis que les exploitations agricoles albanaises ont une superficie moyenne de 4.000 m2, la taille moyenne des oliveraies est plus réduite encore.
Par ailleurs, face aux difficultés liées à l’exportation, certains producteurs albanais s’adonnent à des pratiques frauduleuses pour contourner la loi : “Il y a régulièrement des abus. J’ai rencontré un producteur qui avait essayé d’exporter son huile d’olive mais après des analyses, l’acheteur s’est rendu compte que l’huile d’olive était fortement mélangée avec de l’huile de tournesol, qui coûte moins cher. Il a donc renvoyé le produit.“
Des réformes encore insuffisantes
Avec ses quelque 148.000 exploitations, l’Albanie réserve une place centrale à la culture des olives. Un nombre rendu possible grâce au soutien de l’État albanais. Entre 2007 et 2013, le gouvernement de l’ancien premier ministre Sali Berisha a financé un vaste programme de soutien visant à augmenter la production mais aussi la qualité des olives. En conséquence, la culture d’olives a augmenté de 50% entre 2010 et 2016. Mais malgré ses efforts, l’Albanie ne parvient toujours pas à concurrencer ses voisins du bassin méditerranéen.
Dans un rapport de 2015, l’Agence des États-Unis pour le développement international exposait les difficultés structurelles du système agricole albanais. En cause, “les très petits vergers en situation de désavantage concurrentiel, la difficulté de mécanisation à cause des terrains escarpés, le manque de superficie, les mesures d’irrigation et phytosanitaires et le manque de compétences techniques de base en matière de transformation.”
En dépit du retard du petit pays des Balkans, Gëzim Paja, l’oléiculteur de Belsh, veut croire au potentiel économique de l’Albanie : “Nous sommes en pleine transition. Aujourd’hui, notre croissance est beaucoup plus forte que celle de la France ou de l’Allemagne. Dans un futur proche, l’Albanie va changer et rattraper le reste de l’Europe.“