Memorie.al : transmettre la mémoire de la dictature albanaise

Memorie.al : transmettre la mémoire de la dictature albanaise

Depuis cinq ans, un petit groupe de journalistes albanais s’affaire à recueillir le témoignage des victimes du régime d’Enver Hoxha, qui a dirigé le pays d’une main de fer entre 1945 et 1985.

Dashnor et Mirela Kaloçi, journalistes à la retraite, n’étaient pas prêt à laisser tomber la plume. Ce couple d’une cinquantaine d’années est à l’origine du projet “Memorie.al”, en hommage au projet russe fondé en 1989 à la chute de l’URSS, pour étudier les crimes commis sous le règne de Joseph Staline. Ils ont créé un site internet qui porte ce nom. Il s’agit d’un un portail foisonnant d’articles, d’interviews et de documentaires retraçant les vies et les trajectoires souvent tragiques, parfois extraordinaires, d’albanais ayant vécu sous la dictature.

Informer les jeunes générations

« Si nous avons lancé ce projet, c’était avant tout pour les jeunes générations, nées après la transition démocratique en 1991 », se souvient Dashnor Kaloçi. Et Mirela de s’exclamer : « Certains jeunes savent à peine qui était Enver Hoxha ! ». Loin de les blâmer, ils fustigent plutôt un programme scolaire lacunaire et pointent la volonté pour de nombreux albanais de passer à autre chose.

Lutter contre cet oubli générationnel les occupe désormais à plein temps. C’est en 2019 qu’ils lancent leur projet. D’abord à deux, puis en constituant une petite équipe de cinq confrères. Tous passionnés d’histoire, ils passent désormais la majorité de leur temps à se plonger dans les archives du communisme, mais aussi à parcourir le pays pour interviewer les témoins directs ou indirects de la dictature. Bien que la majorité de leurs témoins n’aient pas de difficulté à raconter leur histoire, certains ont plus de réticence. « L’Albanie est un petit pays, et certains savent que leur vie et leur histoire sera alors exposée aux yeux et au su de tous. Cela amène parfois à une forme de réserve », explique Dashnor Kaloçi.

Capture d’écran du site web Memorie.al

Un travail indépendant

S’ils publient régulièrement des articles, c’est la production de documentaires qui leur demande le plus de ressources. « Pour une heure de documentaire, il faut compter plusieurs mois de travail, mais c’est le format que nous affectionnons le plus », affirme Dashnor Kaloçi. Ce travail est financé de leur poche, jusqu’au petit studio d’enregistrement et de montage installé dans leur appartement. « Les gens qui collaborent avec nous sont bénévoles. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de les rémunérer », se désole Mirela Kaloçi.

Indépendants, ils ne reçoivent aucune subvention pour leur travail. Ils regrettent ce manque de moyens, notamment car ce fonctionnement ne leur permet pas de recruter une équipe plus conséquente, ni de s’assurer que quelqu’un pourra poursuivre leur travail lorsqu’ils ne pourront plus en assurer la gestion. « Nous avons tout de même été rejoints par notre fils », se félicite Dashnor. Alors en études de journalisme à Tirana, le jeune homme était chargé par son père de la traduction en anglais du site web. Un bilinguisme auquel tient le couple, pour informer en dehors de l’Albanie sur l’histoire difficile vécue par le petit pays des Balkans.

« Il est important que cette mémoire ne soit pas uniquement transmise aux Albanais, mais qu’elle soit également accessible à tous ceux qui s’intéresserait à notre histoire », estime Mirela. Le couple espère pouvoir continuer le plus longtemps possible, « tant qu’il y aura des histoires à raconter ».

Jules Bois

Jules

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